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vante laisse voir au fond d’elle-même des millions d’existences, l’imagination surexcitée exalte à son tour la raison; bientôt celle-ci prend ses audaces pour des intuitions révélatrices, et, cédant à ses propres élans au lieu de les réprimer, elle s’égare jusqu’aux limites les plus extrêmes de l’hypothèse.

M. Huet ne tombe point dans cette ivresse. Il ne s’égare pas, comme certains contemporains, dans les espaces nébuleux des fantaisies cosmologiques. Sa raison est ferme, son expérience consommée; il reste toujours maître de sa pensée et de sa phrase. Cependant il est une barrière qu’on est surpris de le voir franchir sans aucune hésitation. Cette barrière, non-seulement il la franchit, mais, autant qu’il est en lui, il la renverse. Les fonctions élémentaires de la matière vivante sont-elles accomplies par des forces dépourvues de conscience? Oui, répond M. Bouchut; non, dit M. Huet. — Pour mettre à couvert notre responsabilité de critique, nous citerons le passage où la doctrine de M. Huet s’exprime et se résume avec une franche clarté : « A l’instinct et à la faculté d’être impressionnée, toute partie organique, toute molécule vivante joint une dernière propriété qui complète son existence : d’une part, elle a son unité et elle la sent, ce qui constitue une espèce d’amour de soi, de sens interne de sa propre conservation; d’autre part, elle a ses liaisons naturelles également senties avec les autres élémens organiques, ses sympathies et affections internes, et même ses affinités et ses répulsions à l’égard des corps extérieurs, comme elle le montre à leur contact. Au lieu d’une molécule, prenez un organe qui a aussi le sens interne de son unité propre, et les mêmes effets vont se produire sur une grande échelle. Prenez enfin l’organisme entier avec son unité dominant la hiérarchie des organes et des fonctions, et vous aurez avec le sens interne général, et pour ainsi parler le moi animal, les phénomènes plus complexes de sympathies, d’affinités et de répulsions au dedans et au dehors, qui, se mêlant aux penchans instinctifs et aux représentations centrales, manifestent la plus haute puissance de la sensibilité affective[1]. » Ainsi voilà qui est net : toute molécule a le sens interne d’elle-même, c’est-à-dire évidemment la conscience. M. Huet va plus loin encore : il souscrit à cette opinion de M. le docteur Pidoux, qu’il n’est pas une parcelle de substance nerveuse qui n’ait de l’imagination à un degré quelconque, pas une non plus qui ne soit douée aussi bien de mémoire et d’affections élémentaires que d’imagination à ce même degré. La dernière conséquence de ces vues hardies, c’est que le corps humain est un animal à lui tout seul et indépendamment de

  1. La Science de l’esprit, t. Ier, p. 43.