Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/950

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Maine de Biran, il y a dans le mouvement volontaire de mon bras trois élémens : la volonté, la sensation de l’effort musculaire, le mouvement. Les deux premiers élémens sont distincts, mais réunis dans le même fait de conscience. Il est à remarquer que c’est entre ces deux élémens que Maine de Biran saisit et constate surtout le rapport de cause à effet[1], en quoi il a raison, car, que le mouvement suive ou ne suive pas l’effort, l’effort n’en est pas moins produit, la sensation de l’effort n’en est pas moins sentie, et l’âme n’en est pas moins cause et de l’effort et de la sensation qui l’accompagne. Cependant, si le mouvement suit l’effort, l’effort étant produit par la volonté, le mouvement a aussi la volonté pour cause, et dans ce cas l’âme se sent cause et de l’effort et du mouvement. Il y a donc entre le mouvement et la volonté un lien qu’aperçoit la connaissance immédiate, et ce lien, c’est la sensation de l’effort. M. Huet nie l’existence de cette sensation paie ce motif que les sensations appartiennent aux organes. Nous pourrions répéter ici ce qui a été déjà dit plus haut : que les sensations, quoique ayant le corps pour condition, sont positivement éprouvées par l’âme; mais voilà que M. Huet, par les défauts de sa propre théorie du mouvement corporel, réfute, sans s’en douter, les critiques qu’il a adressées à Maine de Biran et les détourne sur lui-même. Selon Maine de Biran, l’âme est la cause motrice du corps et se sent telle. Selon son adversaire, l’esprit a une puissance excitatrice à l’égard du corps, se sent en possession de cette puissance, et s’en sert à volonté. Se sentir puissance excitatrice, c’est évidemment se sentir cause. Ainsi, selon M. Huet comme selon Maine de Biran, il y a, dans le mouvement de mon bras, d’un côté une cause spirituelle, de l’autre un effet matériel. Entre ces deux termes, il faut un lien : ce lien, je le vois dans la théorie de Maine de Biran; dans celle de M. Huet, je ne le vois plus. La sensation ôtée, à quel signe reconnaîtrai-je que je suis moi-même la puissance excitatrice de mon corps ? Qui me dira que c’est bien moi qui ai atteint et excité l’organe? Rien. Si quelqu’un obscurcit la notion de cause, n’est-ce pas le philosophe qui crée un tel intervalle entre la force libre et son effet? Si quelqu’un ouvre la porte au matérialisme, n’est-ce pas le psychologue qui attribue le fait essentiellement simple et spirituel de la sensation à l’organisme, vivant il est vrai, mais matériel et étendu? Le fait proclamé par Maine de Biran demeure donc incontestable. On comprendra que nous ayons tenu à en vérifier et à en défendre, même un peu longuement, l’entière certitude. Ce fait, comme tous ceux

  1. Voyez les Nouvelles Considérations sur les rapports du physique et du moral de l’homme, p. 245-246.