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possible de recommencer une nouvelle existence : il n’en était pas ainsi pourtant. Ceux qui avaient été entraînés au mal par de violentes passions trouvaient, une fois l’expiation accomplie, à faire un bon usage de leur énergie de caractère dans un pays neuf. Les voleurs que les tribunaux de Londres et des autres grands centres manufacturiers des îles britanniques envoyaient en quantité aux antipodes n’avaient souvent besoin que d’être mis à même de gagner honnêtement leur vie. On remarquait toutefois que ces derniers se corrigeaient en général moins aisément que les hommes coupables d’attentats contre les personnes. Il y avait encore dans le nombre des convicts des ouvriers de manufactures qui, aveuglés par des doctrines antisociales, s’étaient rendus coupables de bris de métiers, et des déportés politiques de la Grande-Bretagne et de l’Irlande[1]. Il n’était pas étonnant que ces deux dernières classes fournissent des colons probes et laborieux; on peut dire d’une façon générale que les caractères se poussaient à l’extrême dans ces vastes pénitenciers. Les plus corrompus s’enfonçaient plus avant dans le crime et finissaient bientôt sur l’échafaud; ceux qui n’avaient à expier qu’une heure d’égarement revenaient bien vite à des sentimens meilleurs, et saisissaient avec joie l’occasion qu’on leur offrait de se réhabiliter par le travail.

Il est triste de constater que les emancipists récemment convertis montrèrent plus d’activité, de persévérance et de savoir-faire que les immigrans libres. Soit comme cultivateurs, soit comme ouvriers d’art ou petits marchands, ils firent fortune plus vite, et quelques-uns parmi eux devinrent très riches. Mariés n’importe comment et la plupart avec des femmes condamnées, ils subirent une transformation complète, à tel point qu’on prétendait alors à Sydney qu’on pouvait avoir plus de confiance dans les négocians emancipists, qui avaient à tâche de se faire une bonne réputation, que dans les autres, qui n’avaient jamais failli. Les premiers avaient conscience que leur conduite était surveillée de plus près par le public que celle des gens qui n’avaient rien à se faire pardonner dans leur passé; mais ils étaient toujours considérés comme formant une classe à part et traités avec dédain par les autres colons. On ne vou-

  1. Au nombre de ces derniers se trouvait en 1798 un prêtre catholique, M. Dixon, qui, pendant dix ans qu’il séjourna dans la Nouvelle-Galles du Sud, fut seul à exercer son ministère au milieu de ses coreligionnaires. Lorsqu’il fut gracié dix ans après et obtint l’autorisation de rentrer en Europe, on ne vit pendant plusieurs années aucun prêtre de cette croyance, quoique les Irlandais fussent nombreux. Au reste, l’église anglicane n’était guère mieux desservie : il n’y avait que deux ou trois ministres pour une population déjà considérable, qui avait besoin plus que toute autre des secours religieux. Ne doit-on pas penser que cette incroyable incurie du gouvernement anglais contribuait à maintenir l’indiscipline et la dépravation au sein de la colonie naissante?