Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 53.djvu/975

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dans une contrée où l’or qui brille à la surface du sol attire, comme le miroir les alouettes, les déshérités, les déclassés, les hommes dont l’existence perdue ne peut se refaire que par un hasard.

Mais ce grand courant d’émigration si bien dirigé, qui a entraîné vers les rivages de l’Australie tant de malheureux que la misère accablait dans leur pays natal, serait peut-être resté stérile, s’il ne s’y était mêlé une foule de volontaires d’une classe plus élevée qui apportaient avec eux les ressources du capital et de l’intelligence. A côté des émigrans assistés, laboureurs ou ouvriers de manufactures sans emploi, il en vient d’autres, doués d’une instruction supérieure ou possesseurs d’une petite fortune, qui aident à mettre en valeur les richesses de leur pays d’adoption et à y relever le niveau de la civilisation. Ces derniers contribuent peut-être plus encore à maintenir des relations réciproques entre la métropole et sa colonie; si éloignée que soit celle-ci, ils en reviennent tôt ou tard et enrichissent la mère-patrie des trésors qu’ils ont acquis au-delà des mers. En outre ce mouvement alternatif de population assure entre les deux nations un échange de rapports affectueux, favorisés d’ailleurs par la saine politique que le gouvernement impérial[1] pratique à l’égard de ses possessions lointaines.

On se figure volontiers que les colonies de formation récente sont des contrées barbares, peuplées d’hommes aventureux ou débauchés, qui se sont expatriés parce qu’ils ne pouvaient réussir dans leur pays natal. Représenter un jeune homme qui a scandalisé sa famille, épuisé la patience de ses parens et compromis son nom, partant pour les contrées lointaines et en revenant quelques années plus tard avec des richesses immenses, c’est une fiction favorite des romanciers. Rien de plus faux en réalité, au moins en ce qui concerne l’Australie. Les qualités indispensables à qui veut réussir en Europe ne sont pas moins nécessaires aux antipodes. Peut-être y faut-il un peu plus d’activité et moins d’instruction, une plus grande initiative et un peu moins d’intelligence; toutefois les qualités morales ont partout la même valeur. Les circonstances peuvent être plus ou moins favorables; mais en tout pays la fortune vient du travail et de la persévérance. Aussi n’aurait-on jamais créé une colonie florissante avec des convicts, fléau de la société européenne, si intéressant que soit le spectacle que quelques-uns présentent par un sincère retour au bien, ni avec des fils de famille sans

  1. Cette expression, — gouvernement impérial, — est passée en usage, on le sait, dans le langage colonial anglais. On désigne sous le nom d’empire britannique ce vaste ensemble de colonies et de royaumes que les Anglais ont fondés ou qu’ils protègent sur les côtes de tous les océans, et à l’égard desquels le chef de l’état n’exerce qu’une sorte de suzeraineté.