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mément peuplée, se mettait à envoyer en Australie l’excès de sa population, elle envahirait tout, et que les millions d’émigrans dont elle peut disposer étoufferaient bien vite les Européens. De cette crainte et de l’antipathie des races sont venues les mesures restrictives que le gouvernement local a édictées contre les Chinois.

Une enquête qui fut faite vers la fin de 1854, sur la situation des districts aurifères, révéla, au grand étonnement de la colonie, que les Chinois étaient déjà au nombre de plus de 10,000 dans la seule province de Victoria; en même temps on vit arriver à Melbourne plusieurs navires qui portaient chacun de 3 à 400 Asiatiques, attirés, de leur propre aveu, par la perspective de réaliser aux mines une prompte fortune. « Pouvons-nous, disait-on, nous laisser déborder par la marée montante de cette invasion mongole? Ils vont dégrader la colonie par le spectacle de leurs mœurs à demi barbares, la démoraliser par le funeste exemple de leur passion pour le jeu et de leurs absurdes superstitions. » Il y avait dans cette conduite une singulière anomalie. La même province qui a ouvert ses ports aux aventuriers de toutes les nations sans leur demander, autrement que dans un intérêt de police, d’où ils viennent ni ce qu’ils ont fait, les mêmes Anglais qui considèrent comme un article du droit des gens la faculté de circuler en tout pays et de s’établir où leurs intérêts les appellent, contestaient à d’inoffensifs et laborieux immigrans la liberté de prendre une modeste part aux richesses du continent austral. Après quelques débats, la législature vota un impôt de 250 francs à payer par chaque Chinois établi dans la contrée et par chacun de ceux qui débarqueraient à l’avenir dans l’un des ports de la province. Quoique contraire aux principes habituels du gouvernement anglais, et en opposition avec les traités qu’il avait conclus récemment avec le Céleste-Empire, cet impôt obtint l’assentiment royal. Il produisit peu d’effet, car les Asiatiques prirent alors une voie détournée : ils arrivèrent aux mines par les frontières de terre, après avoir débarqué sur la côte de l’Australie méridionale. Lorsque cette dernière province eut établi le même impôt d’arrivée afin de favoriser les intentions de la Victoria, les Chinois abordèrent à Sydney et vinrent dans les districts aurifères en traversant toute la Nouvelle-Galles du Sud. Le gouvernement local, encore une fois désappointé, établit alors une capitation de 25 francs par trimestre, et la Nouvelle-Galles du Sud vint bientôt à l’appui de ses intentions en votant aussi un impôt au débarquement. Ces mesures restrictives eurent un effet considérable. Les Asiatiques n’eussent pas été découragés par les avanies dont on les abreuvait; l’impôt personnel était suffisant pour éloigner beaucoup d’entre eux. Pour ceux, en petit nombre du reste, qui étaient riches et faisaient des affaires