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congénères, fait d’elle un moyen d’investigation d’une puissance et d’une exactitude inappréciables. En effet, la science a reconnu l’indépendance réciproque des langues aryennes : on sait que le latin n’est pas venu du grec, non plus que l’allemand, le slave ou le lithuanien, et que ces idiomes n’ont emprunté des mots, les uns aux autres qu’à des époques relativement modernes. On sait aussi que la langue médo-perse, connue sous le nom de zend, n’est ni fille ni mère de la langue sanscrite, et qu’il en est de même des langues européennes. La philologie, ayant mis ces vérités hors de doute, a du même coup constaté des analogies très nombreuses entre tous ces idiomes, et en a conclu leur parenté et leur commune origine, De là est née cette étude comparative des langues qui porte le nom de philologie comparée. La langue mère vers laquelle sa méthode la conduit n’est plus parlée nulle part ; mais la science en reconstitue le fond et les formes essentielles. Elle s’appuie sur ce principe, que les termes anciens communs à toutes les langues de la famille ont appartenu à l’idiome primordial, et qu’il en est de même de tout terme commun à deux de ces langues, quand il est bien constaté qu’il n’a pas passé de l’une à l’autre. Évidemment ces derniers termes existaient avant que le plus ancien des deux rameaux se fût séparé du tronc aryen, et les termes communs à tous sont antérieurs à la séparation du premier d’entre eux. Or, parmi ces termes, les uns expriment des relations de famille, d’autres des relations sociales ou politiques, d’autres des faits matériels, d’autres enfin des conceptions religieuses. Ces dernières ont donc précédé le plus ancien monument sacré de la race âryenne, qui est le Vêda.

Ainsi est née une étude nouvelle, la mythologie comparée, qui est pour le passé religieux de l’humanité ou tout au moins des peuples indo-européens ce que la géologie est pour le passé du globe terrestre. Du jour où les savans ont pu commencer à lire les textes du Vêda, l’analogie des divinités qu’on y trouve avec celles de la Grèce et de l’ancienne Italie a frappé leurs yeux ; puis, la comparaison s’étendant, on a vu qu’il fallait comprendre dans un même système religieux très antique non-seulement ces trois panthéons, mais aussi ceux des Germains, des Scandinaves et des autres peuples du nord de l’Europe, aussi bien que la partie originale des mythes de la Perse et de la Médie. On a cessé dès ce moment de considérer les mythologies comme des conceptions arbitraires : vues sous leur vrai jour, elles ont été reconnues comme des produits naturels et spontanés de l’esprit âryen dans le développement religieux duquel elles marquent la période primitive ou polythéiste. L’étude de la mythologie rentre ainsi dans la science générale des religions et en forme un chapitre.