Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/1013

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La philologie comparée appliquée à la mythologie ne rend pas compte de la nature des dieux et ne saurait être prise sérieusement pour une interprétation philosophique du polythéisme ; mais comme les noms des dieux expriment l’idée qu’on se faisait de chacun d’eux quand il fut conçu pour la première fois, une science qui poursuit en quelque sorte un mot dans le passé et en établit la signification primordiale peut éclairer l’étude des mythes et en faciliter l’interprétation. On a pu reconnaître depuis quelques années que dans chacune des mythologies il y a deux parts à faire, l’une qui est commune à toute la race et que les peuples ont emportée avec eux quand ils ont quitté la terre natale, l’autre qui est propre à chacun de ces peuples et qui répond à une évolution locale du polythéisme. Cette distinction fondamentale modifie les résultats auxquels la symbolique allemande s’est arrêtée : ainsi le partage des divinités grecques en dieux des Hellènes et dieux des Pélasges n’est plus aussi tranché qu’autrefois. Cependant les philologues auraient mauvaise grâce à dédaigner des travaux tels que ceux de Kreutzer et de Guigniaut : ces livres ont jeté un jour très vif sur l’histoire de la mythologie en même temps qu’ils l’ont fait regarder comme une chose sérieuse, quoique en l’absence du Vêda, que l’on ne possédait pas, ils n’aient pu remonter aux premières origines. D’ailleurs la grande théorie de la Symbolique subsiste toujours. Il serait impossible de comprendre que des conceptions poétiques et des expressions figurées eussent pu engendrer des religions et des cultes, si, derrière ces mots ne se cachaient des personnes divines, symboles idéaux des forces réelles que couvrent les phénomènes de la nature. La réalité de ces phénomènes est visible : les vents, la foudre et la pluie, la chaleur du soleil et ses effets ne sont ni des abstractions ni des mots ; ils viennent de forces dont la puissance se fait sentir et dont la réalité est incontestable. Ces forces sont invisibles, impalpables ; elles échappent au physicien qui n’en mesure que les effets ; elles sont des êtres métaphysiques, et, si le sentiment religieux s’éveille, elles sont des dieux. Il faut seulement concevoir qu’elles dépassent infiniment les phénomènes et qu’elles les contiennent éminemment. À cette condition, il est possible de comprendre comment un travail de synthèse opéré sur les phénomènes a pu réduire le nombre des figures divines, de même qu’une opération d’analyse a dû les multiplier. Un simple classement des faits observés, se répercutant pour ainsi dire dans les forces divines auxquelles on les attribuait, a suffi pour régulariser la hiérarchie divine et instituer un panthéon. Le peuple, qui est tout près des phénomènes et très loin de la métaphysique, s’est plu à multiplier ses dieux ; les savans, par une cause contraire, ont marché de plus en plus vers l’unité. Cette unité, les mythologies occidentales ne