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substance, comme ces rejetons parasites qui détournent la sève et font languir le tronc qui doit porter les fruits. Et c’est en ce moment, c’est devant ces victoires du métier, qu’on élève aux honneurs de l’enseignement officiel le matériel de l’art ! Toujours même système, aider ce qui triomphe, ramer avec le flot !

Et le dessin, pendant ce temps, que devient-il ? N’est-ce pas lui qu’il fallait secourir ? car le dessin, c’est autre chose que le maniement du crayon et la représentation matérielle des formes et des corps, c’est la pensée, la conception, le sentiment, le caractère ; c’est en un mot tout ce qui souffre et languit aujourd’hui. Aussi l’illustre maître, le doyen de l’École des Beaux-Arts, a pu dire, presque sans hyperbole, que le dessin était l’art tout entier. Il en est bien au moins le principe et la base, il en est l’âme en même temps. Si le dessin n’est pas le maître, comme l’âme est maîtresse du corps, si son autorité fléchit, s’il n’est pas obéi, respecté, vrai souverain, sans tyrannie, mais soumettant à ses justes lois tous les caprices, y compris ceux de la couleur, que devient l’art ? — Il se matérialise, et bientôt il n’est plus.

Puisqu’on voulait un remède, c’était de ce côté qu’il le fallait chercher. Nous admettons qu’on eût dit à l’école : « Sans rien changer à ses anciennes bases, régénérez votre cours de dessin ; faites la guerre à la routine tout en gardant vos saines traditions. Les plus excellentes choses s’altèrent à la rouille du temps. Vous avez peu à peu, soit dans la pose du modèle, soit dans l’interprétation des formes, subi des conventions ou contracté des habitudes dont vous devez garantir vos élèves. Faites-les dessiner, non dans l’esprit des maîtres académiques, mais sous l’inspiration des véritables maîtres et des plus grands parmi les grands. Rompez avec le lieu commun ; exigez l’accent vrai, la ligne simple et juste, le trait individuel, le sentiment des types, et laissez dire vos adversaires, vous aurez le public pour vous. »

Croit-on que de tels conseils risquaient d’être mal reçus ? Nous avons meilleure confiance. En tout cas, il fallait essayer et ne pas commencer par détruire. Maintenant c’est chose faite. Légalement il n’existe plus, ce cours de dessin d’après le naturel qu’inaugura Le Sueur voilà deux cent dix-sept années. Ni le décret du 13 novembre, ni le règlement du 14 janvier n’en disent un seul mot. On nous assure qu’en fait, probablement par tolérance, il vit encore, mais de quelle vie ! Un professeur, un seul, en est chargé ; peut-être quelques fidèles s’entêtent à le suivre ; à quoi bon ? Quelle est maintenant à l’école la raison d’être du dessin ? Qu’a-t-on besoin du crayon ? On dessine avec le pinceau. Le dessin est tombé à l’état d’accessoire, d’accessoire anonyme ; il est absorbé, confondu dans l’enseignement