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pour avoir un politique complet. Il n’y avait donc que des individualités brillantes, et point de chef, dans le parti républicain avant Pharsale, et même on peut dire que, comme ces amours-propres jaloux et ces vanités rivales s’étaient mal fondus ensemble, c’est à peine s’il y avait un parti.

La guerre civile, qui fut un écueil pour tant d’autres, qui mit à nu tant de petitesses et de lâchetés, fut au contraire ce qui révéla toute la bonté et toute la grandeur de Caton. Il se fit alors une sorte de crise dans son caractère. De même que dans certaines maladies l’approche des derniers momens donne plus d’élévation et de lucidité à l’esprit, de même il semble qu’à la menace de cette grande catastrophe qui allait engloutir les institutions libres de Rome, l’âme honnête de Caton se soit encore épurée, et que son intelligence ait puisé dans le sentiment des dangers publics une vue plus juste de la situation. Tandis que la peur rend les autres exagérés, il se corrige de ses exagérations ordinaires ; en songeant aux périls que court la république, il devient tout d’un coup sage et modéré. Lui qui était toujours prêt à tenter des résistances inutiles, il conseille de céder à César, il veut qu’on lui accorde ce qu’il demande, il se résigne à toutes les concessions pour éviter la guerre civile. Quand elle éclate, il la subit avec tristesse, et il essaie par tous les moyens d’en diminuer les horreurs. Toutes les fois qu’on le consulte, il est du côté de la modération et de la douceur. Au milieu de ces jeunes gens, héros des sociétés polies de Rome, parmi ces beaux esprits lettrés et élégans, c’est le rude Caton qui défend la cause de l’humanité. Il fait décider, malgré les emportemens des pompéiens fougueux, qu’aucune ville ne sera pillée, qu’aucun citoyen ne sera tué en dehors du champ de bataille. Il semble que l’approche des calamités qu’il prévoit ait attendri ce cœur énergique. Le soir du combat de Dyrrhachium, tandis que tout le monde se réjouissait dans le camp de Pompée, Caton seul, en voyant les cadavres étendus de tant de Romains, Caton pleura : nobles larmes, dignes de celles que versa Scipion sur la ruine de Carthage, et dont l’antiquité a si souvent rappelé le souvenir ! Sous la tente, à Pharsale, il blâmait sévèrement ceux qui ne parlaient que de massacrer et de proscrire, et qui se partageaient d’avance les maisons et les terres des vaincus. Il est vrai qu’après la défaite, lorsque la plupart de ces exagérés étaient aux genoux de César, Caton allait lui chercher partout des ennemis et ranimer la guerre civile aux extrémités du monde. Autant il voulait qu’on cédât avant la bataille, autant il était décidé à ne pas se soumettre quand il n’y avait plus d’espoir d’être libre. On connaît son héroïque résistance en Afrique, non-seulement contre César, mais contre les furieux du parti républicain,