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En résumé, l’idée que le Fils et le Saint-Esprit (sur la personnalité duquel, ajoutons-le, Tertullien reste dans le vague) ont procédé du Père, seul éternel, dans un moment donné de la durée, celle que tous deux sont inférieurs sous bien des rapports à la perfection absolue possédée par le Père seul, celle encore que l’unité de cette trinité divine est seulement l’unité de la substance et de la volonté communes, non pas une unité numérique, ces idées creusent un abîme infranchissable entre la croyance de Tertullien et celle de l’orthodoxie catholique ; mais le fait même qu’il enseigne une trinité, qu’il affirme la consubstantialité des trois membres dont elle se compose, qu’il défend énergiquement ce double point de vue contre les objections de l’unitarisme, encore si puissant au second siècle, nous explique comment, en dépit de toutes ses hérésies trinitaires, qui du reste ne purent être que bien plus tard stigmatisées comme telles, Tertullien doit être considéré comme l’un des pères du dogme catholique. Sur la base posée par lui, peu soucieuse d’en réviser les élémens hétérogènes, mais obéissant à cet impérieux besoin, que dès les premiers jours ressentit l’église, d’exalter le plus possible la personne incomparable de son fondateur, la logique de la chrétienté devait un jour arriver à l’égalité, à l’existence coéternelle et à l’unité numérique des trois personnes de la Trinité.

Quant à l’anthropologie de Tertullien, elle offre le même mélange d’idées que le dogme officiel condamnera plus tard avec la dernière sévérité et de principes d’où il sortira lui-même complètement épanoui. Nous avons déjà signalé le matérialisme de ses vues sur l’âme. On peut voir, dans ses écrits relatifs à ce sujet, qu’il avait été très influencé par les théories sensualistes des médecins célèbres de son temps. De plus, une sœur montaniste en état d’extase avait vu positivement des âmes humaines ; ces âmes paraissaient tangibles, molles au toucher, transparentes, de couleur bleu céleste, et d’une forme toute semblable à celle de nos corps. Tertullien prend au sérieux cette rêvasserie, et pour lui l’âme n’est autre chose qu’une substance fluide, volatile, injectée par Dieu dans les conduits et méandres du corps, dont par conséquent elle a pris la forme. Elle est donc, elle aussi, d’essence divine, un vrai souffle de Dieu. C’est là, selon lui, cet homme intérieur dont parle l’apôtre, et voilà pourquoi la métempsycose est absurde, car comment voudrait-on que l’âme humaine pût s’étendre assez pour remplir un éléphant ou se resserrer de manière à tenir dans un moucheron[1] ? Son immortalité provient de ce qu’elle ne peut se dissoudre, sa substance étant simple et par conséquent indécomposable. Elle possède

  1. De Anima, 32.