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de l’expédition du Gallabat. Il vint hardiment présenter la bataille à la puissante armée de Gocho près de Djenda, à la pointe nord-ouest du lac Tána, et fut culbuté à la première charge. Ses hommes furent pris ou foulés aux pieds de la cavalerie ; lui-même se sauva, avec une quinzaine de fidèles, dans un champ de maïs, où il les embusqua, juste au moment où Gocho arrivait sur lui au galop et criait aux siens dans l’emportement de la victoire : « Prenez-moi ce kollenya, ce vagabond des basses terres ! » A peine Gocho avait-il parlé qu’il tomba raide mort : le kollenya, excellent tireur, lui avait brisé le front d’une balle. Sortant de son embuscade, il courut au cadavre, lui enleva son pourpoint ensanglanté, et le montrant aux cavaliers éperdus : « Votre maître : est mort, leur cria-t-il, et vous, que prétendez-vous faire ?… » Les gens de Gocho avaient eu l’avantage jusqu’à ce moment ; mais la mort de leur chef les démoralisa, comme il arrive toujours en Orient : la plupart posèrent les armes, d’autres résistèrent, et en se faisant écraser ajoutèrent à la gloire du vainqueur.

Alarmé d’un pareil succès, ras Ali lança contre Kassa le meilleur de ses généraux, Aligaz Faras, renforcé : d’auxiliaires qu’Oubié, déjà inquiet pour lui-même, s’était décidé à lui envoyer sous les ordres de deux fit-aurari ou généraux d’avant-garde. Le sort leur fut aussi contraire qu’à Gocho : ils furent complètement battus, et Faras fut tué. Ras Ali envahit alors lui-même le Dembea. On se trouva en présence à Aichal. L’armée de ras Ali était la plus belle ; mais la confiance lui manquait. Le chef, assez brave de sa personne, s’était aliéné l’esprit de ses troupes par son entourage de lettrés et d’astrologues. Quand la charge fut sonnée ; les soldats dirent ironiquement : « Que les debteras (lettrés) passent au premier rang ! » Ils firent cependant leur devoir, ainsi que ras Ali ; mais Kassa avait dit à ses fusiliers : « Tirez sur les pourpoints de soie ! » c’est-à-dine sur le groupe doré d’officiers qui entourait le ras. Aussi l’état-major se dispersa aux premières décharges, et la déroute fut complète. Kassa poursuivit le vaincu jusqu’au-delà du Nil-Bleu, et remporta sur ras Ali une seconde victoire, cette fois décisive. « C’est Dieu qui me frappe, dit le ras avec résignation, et non Kassa,. » Il se réfugia dans le ghedem ou lieu d’asile de Madhera-Mariam, et de la gagna la province montagneuse du Lasta, qui était son pays natal, renonçant, provisoirement du moins, à la lutte et au pouvoir.

Malgré ces victoires, le pays au-delà du Nil n’était pas soumis. Il tenait encore en armes sous Beurrou Gocho, fils de Gocho, jeune paladin brave, hautain, fanatique et violent. Dans la dernière lutte de ras Ali, Beurrou lui avait offert de venir combattre à ses côtés contre le meurtrier de son père ; mais à un conseil de guerre qui fut tenu chez le ras, quelques chefs, froissés de l’orgueil de Beurrou, s’écrièrent :