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de l’Abyssinie allait arriver par la Mer-Rouge. » Grand fut le désappointement lorsqu’on vit l’envoyé français, suivi de six marins seulement, arriver à Halaï, où il s’arrêta, et où, mal entouré et mal informé, il perdit de longs jours à des formalités d’étiquette et donna le temps aux théodoristes de s’organiser. Les milices de la province belliqueuse du Kollagouzay cernèrent Halaï, sans toutefois recourir à la violence. Il y eut des scènes tumultueuses à Halaï parmi les Tigréens, qui se crurent trahis ; le drapeau français fut foulé aux pieds. M. de Russel et ses hommes montrèrent beaucoup de résolution et de présence d’esprit ; mais, entourés d’ennemis, ils durent céder, et, descendant de nuit les ravins de Taranta, ils regagnèrent Massaoua (février 1860). Négousié, perdant alors tout espoir de se mettre en relations avec l’agent français, fit une retraite désespérée qui démoralisa ses troupes plus qu’une bataille perdue. À trente lieues à l’ouest d’Adoua, derrière le plateau uni et découvert du Tigré, commence un fouillis de basses collines couvertes de forêts vierges que l’homme abandonne aux léopards, aux éléphans et aux lions. C’est la Mazaga, sorte de Sologne africaine où règnent des fièvres mortelles, frontière vague que les nègres Barea franchissent parfois pour surprendre et saccager quelque village abyssin, mais où les Abyssins se gardent bien de les poursuivre, quoique ce pays dépende nominalement de l’empire. Ce fut vers ces vallées maudites que Négousié se réfugia en suivant la rive droite du petit fleuve Mareb, route rocheuse, boisée, favorable à la guerre défensive. Son rival, décidé à lui couper la retraite, laissa Axum et le Tigré à sa droite, et descendit vers le Mareb par le plateau d’Addi-Abo, excellente position qui commande à la fois le Mareb et le Takazzé ; mais quand il arriva dans les basses terres, l’ennemi était passé, et avait déjà pris une forte position au sein des Alpes éthiopiques ; le négus, qui hésitait à hasarder une bataille et à exposer ses troupes à périr dans ces terres aux miasmes meurtriers, dut se borner à le suivre à une journée de distance, et enfin se vit obligé de se retirer.

Le négus rentra menaçant et sombre à Gondar. Il venait d’apprendre que le consul anglais, M. Plowden, avait été assassiné par les soldats d’un chef insurgé nommé Garet. Quelques armes qui furent découvertes chez des gens suspects lui fournirent un prétexte pour épouvanter la ville par de sanglantes exécutions, puis il marcha sur le Woggara à la poursuite de Garet, qui, sentant l’infériorité de ses forces, descendit jusqu’au petit plateau de Tchober. Là, pris de vertige, Garet résolut de risquer une sorte de duel : ayant reconnu de loin le négus qui s’approchait suivi d’un groupe d’officiers, il se lança au galop contre Théodore. Arrivé à demi-portée,