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les nationalités distinctes dont il peuple à plaisir le royaume. Mazoviens, Samogitiens, Grecs-Unis, Allemands, Israélites, deviennent ses cliens. Il poursuit son travail de décomposition jusque dans l’école pour faire tout simplement prévaloir, en cas de partage entre enfans de nationalités diverses, l’emploi de la langue russe, et la pensée visible, c’est d’attaquer de front, par tous les moyens possibles, selon le mot de M. Milutine, la vraie et sérieuse nationalité. C’est là la dernière arme préparée par les régénérateurs de la société polonaise et mise dans les mains du comité constituant, devenu une puissance dans le royaume.

Le comité de Varsovie, disais-je, avait été primitivement institué en apparence avec la mission spéciale de surveiller l’application des ukases du 2 mars sur la propriété et la condition des paysans. En réalité, il a fini par étendre son action dans toutes les sphères et par s’emparer de tout, de la direction des cultes comme de l’instruction publique, des finances comme de l’administration. Armé de pouvoirs dictatoriaux, et n’ayant pour auxiliaires que des Russes, il poursuit son œuvre législative et sociale. Ce n’est pas tout cependant d’inscrire dans un décret autocratique la transformation radicale de toute une société, la création d’un ordre nouveau. Cette législation réformatrice, il faut l’appliquer, il faut la suivre dans le détail de ses réalisations multiples, et c’est ici que commencent les contradictions, la confusion, l’anarchie capricieuse et violente. Le comité qui siège à Varsovie a la direction suprême de l’œuvre ; mais il ne peut tout faire, et il se complète par une multitude de commissions provinciales disséminées dans le royaume. Ces commissions, où l’élément militaire prédomine sans doute, où il préside et exécute, et où il y a en même temps des fonctionnaires de toute sorte accourus de tous les côtés de la Russie, des jeunes gens à peine sortis des écoles, des douaniers, des gens de police, jusqu’à un employé venu de Kiakhta, de la frontière de la Chine, — ces commissions, dis-je, usent de toute la liberté que leur donne l’état de siège ; elles exercent dans toute sa plénitude le droit d’interprétation à l’égard des ukases dont elles sont chargées de surveiller l’exécution, et conformément à leurs instructions secrètes elles interprètent toujours dans le sens de la politique dont elles sont les mandataires. L’ukase du 2 mars, par exemple, en décrétant que les bâtimens qui se trouvent dans les villages, en dehors des limites de l’exploitation directe du propriétaire, appartiendront aux paysans qui les occupent, n’a entendu évidemment que les maisons d’habitation. On a appliqué le principe aux distilleries, aux moulins, à tous les établissemens industriels, dont les employés et les domestiques sont devenus les propriétaires. L’ukase, en réservant aux paysans un certain droit d’usufruit et de pâture, n’a pas jugé sans doute que ce droit fût sans limites ; or il y a un district où les paysans se sont plaints que le propriétaire avait trop de moutons, qu’il nuisait ainsi à leur droit de pâture pour leurs propres troupeaux, et l’autorité russe est intervenue pour contraindre