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autre chose au fond de tout cela qu’un mensonge d’hérésiarques aux abois.

Dix ans après, et quand cette scène était complètement oubliée, les ennemis de Jérôme en réveillèrent le souvenir pour l’accuser. Ce fut Rufin qui se chargea de faire connaître au monde dans un libelle que le compagnon de sa jeunesse, celui qui lui avait voué pendant trente ans une affection de frère, n’était qu’un faussaire infâme. Sans toutefois nommer Jérôme, il raconta l’anecdote avec des enjolivement qui en dénaturaient odieusement le caractère. Jérôme, alors retiré à Bethléem, bondit de fureur à cette lecture, puis il se calma et se contenta de verser sur le calomniateur quelques lignes d’un mépris bien mérité. « Ami très cher, lui disait-il dans sa réponse au libelle, quand tu auras à composer des traités ecclésiastiques où la sainteté de nos dogmes et le salut de nos âmes seront intéressés, abstiens-toi, je t’en supplie, d’y mêler des rêveries fantastiques, ou de ces fables absurdes qui ne semblent des vérités qu’après dîner. Tu cours plus d’un risque à ce métier ; d’abord on peut te dire que ce que tu donnes pour vrai est, un mensonge fabriqué à plaisir, puis on peut ajouter que l’on imagination, rivale de celle des Philistion, des Marcellus, des Lentulus et autres mimographes célèbres, sait inventer des coups de théâtre qui conviennent mieux à un bateleur qu’à un prêtre. »

Au printemps, Épiphane et Paulin se mirent en route pour regagner leurs foyers en prenant par la Macédoine, où ils séjournèrent quelque temps près de l’évêque de Thessalonique ! Jérôme ne quitta point Rome, et Damase se l’attacha définitivement comme secrétaire de la chancellerie pontificale, chargé de dresser les confessions de foi, de dicter les épîtres ecclésiastiques et de répondre aux consultations des conciles d’Orient et d’Occident. Quelques lettres qui nous restent de l’évêque romain témoignent de sa vive affection et de sa grande estime pour Jérôme ; il le traitait avec une familiarité paternelle, le consultant sur ses propres lectures, étudiant ses ouvrages, et lui proposant soit de vive voix soit par lettre des questions sur les difficultés des Écritures. Son admiration pour quelques-uns de ses livres allait à ce point qu’il voulut les copier de sa main. Damase l’aiguillonnait sans cesse à écrire, « ne voulant pas, disait-il, le laisser s’endormir sur l’œuvre des autres. » Dans leurs mutuels épanchemens, Jérôme étalait aux yeux du vieillard émerveillé ces trésors de l’interprétation symbolique qu’il rapportait d’Orient, et auxquels sa féconde imagination savait ajouter de nouvelles richesses.

Le plus important des ouvrages qu’il entreprit alors sur l’ordre de son protecteur fut la traduction des livres du Nouveau Testament