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ceux qui s’opiniâtreraient à rester catholiques. La plupart le firent, et, chassés de leurs pauvres demeures à grands coups d’épée, ils se dispersèrent dans les parties les moins accessibles de ces grandes solitudes au risque d’y mourir de faim ; mais l’ingénieuse charité des fidèles parvenait à les y retrouver : on leur faisait porter des vivres en cachette, et Mélanie dépensa pour cette sainte entreprise des sommes énormes. Les auteurs de sa vie nous disent qu’elle nourrit jusqu’à cinq mille personnes pendant trois jours. L’indignation des catholiques était au comble, de même que le fanatisme du parti arien, et des troubles populaires agitèrent la ville d’Alexandrie. Arrêtée dans une émeute, Mélanie fut conduite devant le préfet, qui la relâcha.

Cependant les plus qualifiés parmi les solitaires de Nitrie et les plus fermes aussi dans leur foi avaient été mis aux fers, et comme leur présence en Égypte encourageait la résistance, l’empereur ordonna qu’ils fussent transférés à Dio-Césarée, en Palestine, où se trouvaient déjà plusieurs évêques exilés. Au nombre des solitaires ou des prêtres qui allaient être ainsi transportés figuraient deux hommes bien connus en Occident, cet Ammonius et cet Isidore qu’on avait vus à Rome, vers le temps où commencent nos récits, accompagnant l’évêque Athanase dans sa fuite, et visitant en hôtes et en amis la maison d’Albine. Mélanie, durant ses courses à travers l’Égypte, avait été l’objet de leur sollicitude ainsi que des prévenances d’Athanase, mort depuis quelques années. Ils étaient vieux maintenant, du moins Ammonius, et décidés l’un et l’autre à mourir pour la foi consubstantialiste. Isidore, grand-hospitalier d’Alexandrie sous Athanase, venait d’être dépouillé de sa charge ; Ammonius, redevenu moine et abbé de Nitrie, montrait en signe de gloire monastique la place d’une oreille qu’il s’était coupée autrefois pour échapper au danger d’être évêque. Menacé de se voir ordonner de force par ses supérieurs ecclésiastiques, tant on faisait cas de ses vertus, il s’était infligé volontairement cette mutilation, qui, d’après les canons, le rendait impropre au suprême sacerdoce.

Quand la troupe des captifs partit, Mélanie ne voulut abandonner ni les deux saints personnages ni leurs compagnons de martyre, et courut elle-même les attendre à Dio-Césarée. Installée obscurément dans un coin de l’ancienne ville d’Hérode Antipas, aujourd’hui métropole de la Galilée romaine, elle pourvoyait à la nourriture de ses chers prisonniers, s’introduisant chaque jour dans leur prison sous le déguisement d’une esclave. Ses fréquentes visites et les sommes considérables qu’elle distribuait éveillèrent l’attention des officiers de la geôle, qui la dénoncèrent au gouverneur comme un agent des ennemis du prince, en état de révolte contre ses ordres.