Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dieu m’est témoin que je parle comme si j’étais debout devant son tribunal : écoute-moi donc. Ces larmes qui n’ont point de mesure, qui te conduisent au seuil de la mort, eh bien ! elles sont détestables, elles sont pleines de sacrilège, plus pleines encore d’incrédulité. Tu pousses des cris perçans, comme si des flambeaux te brûlaient vivante. Tu es homicide de toi-même autant qu’il est en toi ; mais à ces cris le clément Jésus accourt et te dit : « Pourquoi pleures-tu ? La jeune fille n’est pas morte, elle dort. » Tu te roules désespérée sur le sépulcre de ta fille, mais l’ange est là qui te gourmande et dit : « Ne cherche pas un vivant parmi les morts ! »

Revenue à la vie par les soins de Jérôme, Paula s’attacha à lui d’une affection de sœur. Ainsi commença près d’un cercueil cette sainte et inaltérable amitié qui brava la méchanceté des hommes et le temps, que l’église a pour ainsi dire consacrée dans la plus haute glorification qu’elle accorde à ses enfans, et qui témoigne encore de sa durée, après quinze siècles, par l’union de deux sépulcres.

Un second malheur suivit de près celui-ci. Blésille était morte au mois de novembre de l’année 384 ; le 11 décembre, ce fut le tour de Damase. Jérôme perdait en lui un protecteur et un père, la réforme un partisan réservé, mais sûr. Siricius, qui le remplaça après un intervalle de près d’un mois, sortait du clergé de Rome, qu’il voulut se concilier, quoiqu’il n’en partageât pas les défauts ; il lui sacrifia Jérôme, à qui il retira la charge de secrétaire de la chancellerie pontificale. À ce prix sans doute il obtint du corps ecclésiastique un concours zélé pour repousser Ursin, qui tentait une nouvelle compétition par les moyens à son usage. Quand on vit Jérôme frappé, les lâches même relevèrent la tête : ce fut à qui l’insulterait, et ceux qui au temps de sa faveur avaient plié le plus bas sous son caractère parfois hautain se vengèrent du passé par l’exagération de leurs outrages. On était parvenu à mettre contre lui la populace ; il ne pouvait plus paraître dans les rues sans entendre crier : « Au Grec ! à l’imposteur ! au moine ! » Paula, indignée de ces persécutions et prenant Rome en dégoût, parla d’aller à Jérusalem ; mais aussitôt sa parenté redoubla de colère et de plaintes : on la déclara folle, et quelques-uns, attribuant cette résolution aux conseils de son ami, répandirent dans le public des bruits odieux sur leur liaison.

Une fois le signal donné par les parens mêmes de Paula, il n’y eut pas de crime qu’on ne leur imputât à tous deux. Le sénat des pharisiens, pour employer le langage de Jérôme, tendit la main au sénat des idolâtres, afin de les mieux écraser. Révoltée de tant d’injustice et sûre de sa conscience, Paula brava ces indignes clameurs, et son projet de départ, jusqu’alors incertain, fut irrévocablement arrêté. Un de leurs ennemis poussa même l’audace jusqu’à affirmer publiquement de vive voix ou dans un libelle (on ne sait pas bien