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repos la conscience et la conduite de chacun, les philosophes n’ont plus à élever en regard des autels ce fantôme de la religion naturelle.

À la faveur du calme qui a suivi la guerre de la philosophie et de l’église, on a pu s’apercevoir que, si la lutte contre un clergé trop puissant est un devoir dans une société qui veut maintenir son équilibre, le dogme et le culte sont hors de cause : on a vu des contrées où la religion est florissante et où le clergé n’est rien, et d’autres où le clergé domine la société et le prince, sans que la foi y ait plus d’empire sur les âmes. Une fois faite la distinction du sacerdoce et de la religion, on n’était pas loin de la science, car on a pu, depuis cette époque, laisser à l’état, intéressé tout le premier à garder son indépendance, le soin de la défendre. Ainsi, retirés d’un combat qui n’est plus le leur, les philosophes et les historiens se trouvent naturellement ramenés vers la théorie. Or l’esprit scientifique est aujourd’hui la grande force à laquelle obéit la société : il y règne partout ; les mathématiques étaient venues les premières ; les phénomènes du monde physique ont été étudiés à leur tour ; le monde moral est enfin devenu un objet de science. On entrevoit le lien qui unit toutes ces études et l’on commence à comprendre que la philosophie ne peut plus prétendre à l’isolement, que ni la métaphysique, ni la science de Dieu, ni la psychologie, où l’éclectisme se retirait naguère comme dans un fort, ne se suffisent à elles-mêmes, qu’il n’y a plus aujourd’hui des sciences séparées, mais diverses parties d’une même chose que l’on peut appeler la science.

J’ai dû présenter en raccourci ce tableau du mouvement de l’esprit dans ces dernières années, pour faire comprendre comment la science des religions arrive à son tour, la place qu’elle occupe parmi les autre sciences et la méthode qu’elle doit suivre. Parmi les faits dont l’ensemble constitue le monde moral, ceux qui sont du domaine de la religion ne sont ni les moins nombreux, ni les moins considérables. Il y a des peuples chez qui la religion n’est presque rien : ce ne sont pas, à vrai dire, les plus intelligens ; mais il en est d’autres chez qui l’institution religieuse n’a pas moins d’importance que l’institution civile ou politique. Chez quelques-uns, la philosophie ne s’est jamais entièrement séparée de la religion et n’en a pas moins jeté le plus vif éclat ; chez certains peuples, les faits religieux dominent tous les autres et semblent les absorber entièrement. La lecture des livres indiens et l’histoire, qui commence à s’éclaircir, de la propagation des idées indiennes prouvent que ni la philosophie antique, ni les lettres grecques, ni les croyances anciennes ou modernes ne peuvent être suffisamment comprises, si l’on ne remonte vers l’ancien Orient. Or l’Inde est la contrée, religieuse par excellence : on n’y peut pas séparer la littérature