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dont le souvenir nous vient d’un passé lointain peuvent avoir plus de valeur réelle que des faits contemporains qui tiennent le monde en suspens, « Les pages les plus anciennes et les plus altérées de la tradition, dit avec raison M. Max Müller, nous sont quelquefois plus chères que les documens les plus explicites de l’histoire moderne. » Tel est le fond solide sur lequel repose la science des religions. Comme on le voit, elle ne le cède point en valeur aux autres sciences d’observation ; elle occupe, par sa méthode, une place marquée près de l’histoire et de la philologie comparée, touchant d’un autre côté à la philosophie.

Le nombre des religions qui ont existé ou qui existent encore parmi les hommes est plus grand qu’on ne l’imagine. L’habitude de vivre dans une société où il ne s’en rencontre que deux ou trois fait qu’on ne se préoccupe point des autres. Cependant, quelque peu de valeur qu’aient les religions des peuplades barbares de l’Afrique, de l’Amérique et de l’Océanie, elles doivent entrer comme termes de comparaison dans la science, et servir au moins à la définition générale. Ces religions locales sont nombreuses. Si dans les pays civilisés où se sont développés de grands systèmes religieux on comptait les hérésies, les schismes et les sectes qui les divisent, le nombre total serait fortement accru. Il augmenterait encore si l’on remontait dans le passé, et que l’on constatât toutes les formes qu’ont successivement reçues ces dogmes et ces cultes. Et ce ne serait pas tout encore, puisque, arrivés au terme de l’histoire, nous verrions s’étendre devant nous ce long passé de l’humanité primitive, dont on ne peut fixer la durée, et pendant lequel un grand nombre d’ébauches religieuses ont été nécessairement tentées.

L’énumération des faits religieux ne peut donc pas être complète, et, selon toute vraisemblance, elle ne le sera jamais. La science ne s’en fait pas moins : n’est-ce pas là en effet la condition nécessaire de toutes les sciences d’observation ? La physique, la chimie et l’histoire naturelle, l’astronomie, qui dépasse toutes les autres en rigueur et en certitude, ont-elles moins de valeur parce qu’elles n’ont pas épuisé tous les phénomènes qui les concernent ? Leurs classifications s’opèrent cependant ; les lois générales qu’elles découvrent s’affirment, se formulent, et les faits nouveaux ne font qu’en rectifier, en étendre ou en confirmer l’expression. Dans la nature, il y a des corps dont la quantité est très petite et le rôle très borné ; il y a de même dans l’humanité des religions locales dont l’influence est bornée. Ces corps n’obéissent pas moins aux lois générales dont la physique et la chimie constatent la réalité ; ces religions aussi rentrent dans les définitions générales et dans les formules de la science. En effet, les classifications des phénomènes, les groupes où on les réunit,