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vient de la racine div, qui veut dire briller, et qui s’applique soit à l’éclat des objets éclairés, soit à celui de la lumière et du ciel resplendissant, de telle sorte que les hommes pourraient n’avoir en réalité que l’idée de lumière pendant qu’ils croient posséder la notion de Dieu. Ces conséquences, qui conviennent au matérialisme, sont en contradiction formelle avec toute la métaphysique et avec la psychologie la plus simple. Les philologues ne doivent pas oublier que, si un principe faux engendre parfois des conséquences vraies, jamais d’un principe vrai on ne peut tirer des conséquences fausses. Il ne faut donc pas donner aux interprétations philologiques une aussi grande portée, ni leur demander l’origine des dogmes ou des rites : elles sont hors d’état de la faire connaître. En y réfléchissant, on se convainc que l’idée de Dieu naît avant qu’on ne l’exprime, et que si elle n’existait pas dans l’esprit, jamais d’un nom commun ou d’un adjectif on n’aurait pu faire le nom propre d’une divinité. Aussi bien Vishnu n’est ni le soleil ni ses rayons ; Agni n’est pas le feu matériel qui brûle malgré l’identité de leurs noms ; Neptune n’est ni la mer ni l’eau douce. Il n’y a pas, à ma connaissance, un seul texte, ni dans Homère, ni dans le Vêda, qui impose à ces noms la signification étroite qu’on leur suppose. Vishnu est une force vivante qui se manifeste dans le soleil aux rayons pénétrans ; Agni est une puissance universelle, intelligente et libre, dont les feux de toute nature ne sont que des signes visibles, qui réside aussi dans les corps organisés qu’elle échauffe, et jusque dans la pensée qu’elle vivifie. Il n’est pas un lecteur attentif du Vêda qui ne le sache, et qui, s’il est sincère, ne reconnaisse la spiritualité de cette doctrine. Quant à Neptune, bien loin d’être l’eau, personnifiée par un abus du langage, il est, comme son nom grec de Poséidon (Ποσειδάων) l’indique, la puissance qui donne les eaux, par conséquent un être supérieur à la nature, une conception métaphysique, un dieu.

Si telle est la vraie nature d’un dieu dans une religion, il est évident que les expressions qui le désignent ne sont plus seulement métaphoriques, et que les rites institués en son honneur ont une valeur significative et symbolique. Un être surnaturel est atteint par l’esprit avant de l’être par la voix de la prière et par l’acte matériel et extérieur du culte. Plus l’acte religieux diffère par sa nature de l’union spirituelle du dieu et de son adorateur, plus cet acte est symbolique : ainsi la flamme du cierge sur l’autel chrétien est plus symbolique que l’hymne chantée dans l’église, l’hymne est plus symbolique que la prière mentale résidant au cœur de chaque adorateur. C’est ce que les Indiens avaient parfaitement compris et ce dont doit toujours tenir compte celui qui fait l’histoire d’une religion. Nous ne devons pas, sous prétexte de philosophie, transformer