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vingt ouvriers travaillant en commun. Un membre de la commission, M. de Gérando, voulait même aller plus loin, car il déclara dans le cours de la discussion que les petits ateliers, dits ateliers domestiques, étaient le théâtre des plus grands abus. La chambre fut arrêtée par la crainte de rendre la loi impuissante dans un grand nombre de cas, et par un respect peut-être mal entendu de l’autorité paternelle.

Si la loi française étend le système de la protection à un plus grand nombre d’établissemens que la loi anglaise, en revanche la protection qu’elle accorde est moins efficace. Elle permet l’entrée des enfans dans les manufactures à huit ans ; la loi anglaise, celle du moins de 1833, ne la permettait qu’à neuf ans. En France, un enfant passait à douze ans dans la classe des adolescens, et à treize ans seulement en Angleterre, La protection légale cessait chez nous dès que le jeune travailleur avait atteint seize ans ; elle le suivait, chez nos voisins, jusqu’à dix-huit. Les enfans, dans les deux pays, devaient chaque jour huit heures de travail ; mais les adolescens ne devaient que soixante-neuf heures par semaine en Angleterre, et en France soixante-douze, Enfin le travail de nuit, quoique interdit chez nous, était encore possible dans certains cas très rares, tandis qu’en Angleterre l’interdiction était rigoureuse et absolue.

On le voit, la loi de 1841 n’était pas à beaucoup près aussi radicale que le bill de 1833, et ceux qui la regardent comme une entrave imposée à l’industrie doivent convenir au moins que nos voisins portent des chaînes plus pesantes que les nôtres. L’argument qui revint plus d’une fois dans la discussion, surtout à la chambre des députés, et qui consiste à dire que nous priver du travail des enfans, c’est renchérir notre main-d’œuvre et rendre la concurrence plus difficile à soutenir contre les manufactures anglaises, tombe évidemment devant cette considération, que depuis 1833 les enfans n’entrent qu’à neuf ans et ne travaillent que huit heures dans les manufactures anglaises, que depuis 1844 ils y entrent à huit ans, mais en y travaillant seulement six heures et demie par jour, et que depuis la même époque le travail des adolescens, comme celui des femmes, a été réduit à onze heures. Ce sont donc les Anglais qui pourraient se plaindre d’être entravés par la loi de leur pays, et ils s’en sont plaints en effet pendant les premières années. Aujourd’hui ils obéissent à la loi, non-seulement parce qu’elle est la loi, mais parce qu’elle est une loi juste. Il est triste d’avoir à constater que la nôtre a été presque constamment éludée, et qu’elle est passée dans quelques centrés industriels à l’état de lettre morte.

Rien n’énerve plus un pays que d’avoir des lois et de leur désobéir., Le principal défaut de la loi de 1841 était de manquer de