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nombreux exemples empruntés à l’Angleterre que la limitation des heures de travail n’y avait point entravé l’essor de la fabrication. Au contraire, depuis cette limitation, l’industrie multipliait ses produits, et les livrait chaque jour à meilleur marché. Cependant en Angleterre la limitation comprenait, outre les enfans et les adolescens, les femmes et les filles de tout âge. Le travail, depuis 1844, y était limité à six heures et demie pour les enfans, et il s’agissait d’une population très inférieure à la nôtre et d’un nombre d’ateliers très supérieur. Quand même le raisonnement du ministre aurait été spécieux, que pouvait un raisonnement contre tant de faits, et des faits à la fois si concluans et si incontestables ? Mais le raisonnement du ministre était faux de tous points. Il reposait sur cette allégation, évidemment inadmissible, que la loi de 1841 augmentait le prix de la main-d’œuvre. Avez-vous moins de travail d’enfans ? disait le rapporteur. Le payez-vous davantage ? Craignez-vous de manquer de bras ? Chaque enfant travaille moins longtemps, mais il y a dans l’atelier le même travail d’enfans au même prix, et il est plus soutenu et plus avantageux pour le patron, parce que les enfans ne sont pas épuisés. Telle est la vérité, et le rapporteur ajoutait en propres termes qu’il était « inexact et dérisoire » de soutenir le contraire.

Le rapport de M. Charles Dupin ne fut pas seulement lumineux, il fut impitoyable. — La loi de 1841, disait-il, vous permettait d’augmenter la matière de la loi ; elle vous enjoignait de compléter par des ordonnances les prescriptions législatives. Qu’avez-vous fait depuis six ans écoulés ? Vous n’avez ni profité de vos droits ni rempli votre devoir. Vous venez à présent nous demander de renoncer à notre œuvre, quand l’Angleterre, la Prusse, l’Autriche, la confédération germanique, nous donnent des leçons d’humanité. Vous soutenez des doctrines que vous avez, il y a six ans à peine, réfutées, combattues. Vous accusez la loi de n’avoir pas réussi, comme elle le souhaitait, à concilier les intérêts de l’industrie et ceux de l’humanité, et c’est l’humanité que vous sacrifiez ! — Ce dernier mot disait courageusement et cruellement la vérité. Voici d’ailleurs les traits principaux du nouveau projet apporté par la commission, et qu’elle substituait au projet de loi du ministre et à la loi de 1841.

Elle commençait par étendre à un plus grand nombre d’établissemens les prescriptions de la loi, d’accord en cela avec le gouvernement. L’article 1er de la loi de 1841 embrassait, outre les manufactures, usines et ateliers à moteur mécanique ou à feu continu, toute fabrique occupant plus de vingt ouvriers réunis en atelier. Ce chiffre de vingt ouvriers avait été mis là provisoirement pour ne pas créer de difficultés dans les commencemens à l’exécution de la loi, et