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du schelk d’Allemagne, du grand cerf d’Irlande, et de plusieurs autres grands animaux, est due à l’acharnement des chasseurs. De nos jours, le buffle, le lion, le rhinocéros, l’éléphant, reculent incessamment devant l’homme, et tôt ou tard ils disparaîtront à leur tour. Les énormes bœufs marins de Steller, qu’on trouvait, il y a un siècle, en si grande abondance sur les rivages du détroit de Behring, ont été exterminés jusqu’au dernier ; les baleines franches, qui jouissent actuellement d’un faible répit, grâce à la guerre d’Amérique et à l’exploitation des sources de pétrole, vont être avant longtemps pourchassées de nouveau avec fureur, et ne trouveront plus une mer où se réfugier ; les phoques sont chaque année massacrés par milliers ; les requins eux-mêmes diminuent en nombre avec les poissons qu’ils poursuivaient, et qui deviennent la proie des pêcheurs. Parmi les races d’oiseaux dont l’homme doit sans doute se reprocher aussi l’extinction, il faut citer l’alca impennis des îles Feroë, le dodo de Maurice, le solitaire de la Réunion, l’æpyornis de Madagascar, les dinornis de la Nouvelle-Zélande. En outre on connaît les résultats déplorables que la tuerie annuelle des oiseaux a produits dans tous les pays de chasse. Délivrés, grâce à l’intervention insensée de l’homme, des oiseaux qui leur faisaient la guerre, les tribus des insectes, fourmis, termites, sauterelles, s’accroissent en nombre de manière à devenir, elles aussi, de véritables agens -géographiques. De même les cétacés et les poissons qui ont disparu sont remplacés par des myriades de méduses.et d’infusoires.

À ce sujet, M. Marsh émet une opinion,qui ne peut manquer d’étonner au premier abord, mais qui doit, ce me semble, être prise en très sérieuse considération. D’après lui, ce phénomène si remarquable de la phosphorescence des eaux marines serait de nos jours plus fréquent et plus beau qu’il ne l’était pendant l’époque grecque et romaine. Autrement ne serait-il pas incompréhensible en effet que les anciens n’eussent pas cru dignes d’une mention ces nappes de lumière jaune ou verdâtre qui, durant les nuits, frémissent sur la mer, ces fusées d’éclairs qui jaillissent de la crête des vagues, ces tourbillons d’étincelles que le taille-mer des vaisseaux soulève en plongeant, ces ondes flamboyantes qui glissent des deux côtés du navire pour s’unir en longs remous derrière le gouvernail et transformer le sillage en un fleuve de feu ? C’est là certainement l’un des plus beaux spectacles de la grande mer, et cependant les Grecs ne disent point l’avoir contemplé sur les vagues de leur magnifique archipel. Homère, qui parle souvent des « mille voix » de la mer Egée, n’en signale point les mille lueurs. De même les poètes qui firent naître Vénus de l’écume des flots, et peuplèrent « les demeures humides » de tant de nymphes et de divinités, n’ont point décrit les nappes d’or fluide sur lesquelles se laissent bercer pendant les nuits les déesses resplendissantes. L’amour des poètes grecs pour le grand jour et la lumière du soleil pourrait expliquer en partie ce silence étonnant ; mais pourquoi les savans eux-mêmes n’ont-ils point décrit le phénomène, en apparence si extraordinaire, de l’éclat phosphorescent