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d’être faits sur l’antiquité, on demeure frappé de la multiplicité et de la variété des points de vue et des jugemens. Il n’y a pas lieu de s’en étonner : chacun, suivant son tempérament, voit les hommes et les faits sous un certain angle et prête un relief particulier à l’objet de ses prédilections et de ses pensées habituelles. On parcourt ainsi, en lisant les ouvrages dont nous parlons, une singulière gamme d’opinions et de>peintures. Qu’un esprit aimable et joyeux, mais un peu superficiel, tourne ses yeux et ses oreilles vers l’antiquité, il y verra et y entendra surtout l’écho des chansons, les amours faciles, les grâces accortes de la lyre légère, il se complaira au défilé des Phyllis et des Lalagé. Son livre[1] ne sera qu’un mélange capricieux d’érudition, de causeries et de digressions. Conduit par Vénus Aphrodite et par Bacchus, l’auteur fera à travers l’éloquence et la poésie une sorte de promenade buissonnière et humoristique, et les rapprochemens abonderont un peu au hasard sous sa plume. Les noms d’Ovide, de Lydie et de Néère amèneront ceux de Ninon de Lenclos, de Célimène, de Lisette et de Bélanger ; cette frivole et coquette société romaine, étalée partout au premier plan de son livre, il la verra, ou bien peu s’en faut, à travers Versailles et les élégances raffinées des siècles de Louis XIV et de Louis XV.

Tout autre sera le point de vue de la véritable critique et de l’érudition approfondie telle qu’on la trouve dans quelques ouvrages récens, parmi lesquels se présente en première ligne le livre de M. Martha[2]. Esprit sérieux, austère, tout d’une pièce, M. Martha considère les côtés moraux et philosophiques de la société romaine. Ce qui sollicite son regard, c’est le stoïcisme et l’idée pratique de cette haute doctrine. Il nous montre l’action que les philosophes stoïciens exerçaient alors sur les mœurs par leur enseignement et par leur exemple. « Toutes les belles âmes, dégoûtées de la politique, dit-il, cherchèrent un refuge dans la philosophie où elles protestaient en silence contre les mœurs du siècle et le despotisme impérial, » L’ouvrage de M. Martha est tout entier dans cette pensée : c’est le tableau de la philosophie qui, d’une simple recherche scientifique ou d’un exercice déclamatoire, est devenue une source de leçons et de courage, un appui pour l’humaine sagesse, un maître ayant charge d’âmes, et mêlé au train de la vie commune.

On ne saurait apprécier ici bien d’autres publications relatives à la même époque et au même ordre d’idées. L’essentiel était d’indiquer la multiplicité des aspects sous lesquels se laissent entrevoir, à dix-huit siècles de distance, les esprits et les œuvres qui se détachent, comme autant, de corolles brillantes, du milieu d’une grande floraison littéraire et philosophique. Pour achever l’esquisse des principaux traits du tableau, il nous suffira de citer un livre qui s’adresse plus exclusivement que les précédens aux lettrés et aux hommes qui vivent dans un commerce assidu et purement classique avec les anciens, c’est l’ouvrage de M. Amiel, l’Eloquence

  1. La Poésie et l’Éloquence à Rome au temps des Césars, par M. Jules Janin, in-18, Didier et Co.
  2. Les Moralistes sous l’Empire romain, in-8o, Hachette.