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républicain dont la mission était de rétablir ce qu’ils nommaient l’ancienne Union et de faire régner la paix sur le continent. On pourrait presque dire que le parti démocratique trouva un général avant de retrouver des soldats ; bientôt pourtant ses cadres se remplirent de nouveau, les mécontens se rallièrent. Les lenteurs de la guerre, les appels successifs, la conscription, le trouble causé par les émissions continuelles de papier-monnaie, devaient nécessairement semer de nombreux germes d’opposition dans le pays. Néanmoins, pendant comme avant la guerre, les démocrates et les républicains se divisèrent principalement sur la question de l’esclavage. Je ne connais pas de phénomène politique plus étrange que l’attachement, le dévouement aveugle d’un grand parti à une institution dont il ne tire aucun profit direct. Que dans les états où l’esclavage a été aboli, comme il vient de l’être dans le Maryland, les maîtres d’esclaves dépossédés regrettent l’ancien régime, les préjugés de l’éducation et l’amour naturel de l’homme pour une autorité sans contrôle l’expliquent jusqu’à un certain point ; mais on ne comprend pas sans peine par quelle puissance secrète l’esclavage a su entrer comme une sorte de religion dans le cœur de tant de démocrates du nord qui n’ont jamais vécu qu’au milieu d’hommes libres. Chez les Irlandais ignorans et demi-sauvages que l’émigration a jetés sur le continent, la haine pour la race noire s’explique par une jalousie naturelle : l’Irlandais ne verrait rien au-dessous de lui sur l’échelle sociale, si la loi n’avilissait le noir et ne lui ôtait les droits de citoyen. Le parti démocratique, qui trouve dans la population des villes, notamment chez les Irlandais, ses adhérens les plus fidèles et les plus bruyans, flatte les préjugés de la multitude pour s’en faire une arme contre ses adversaires. Il y a cependant, si je ne me trompe, autre chose que l’ambition, autre chose que l’amour du pouvoir dans le sentiment qui attache les meneurs de ce grand parti à l’institution de l’esclavage ; il s’y mêle je ne sais quelle bassesse démagogique qui confond les idées d’indépendance et de servitude, d’égalité et d’oppression. Le démocrate américain offre de la même main à ses adhérens les joies de la liberté, les plaisirs de la tyrannie.

À mesure que l’administration, subissant la pression impérieuse de l’opinion libérale, entra de plus en plus franchement dans les voies de la politique émancipatrice, l’opposition du parti démocrate devint plus ardente, plus impatiente. Avec un peu plus de clairvoyance, les chefs du parti auraient vu qu’ils se trompaient et luttaient contre un courant irrésistible. Le seul avantage de la guerre et de la force est de résoudre rapidement les questions que le temps et la discussion ne peuvent résoudre que lentement. En vain les démocrates, et au début beaucoup de républicains eux-mêmes, ont-ils