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anglaises, quantité de petits ustensiles qui pourvoiront à de petits besoins. L’architecte et le tapissier ont raisonné sur les meilleurs moyens d’éviter le chaud, le froid et le trop grand jour, de se laver, de cracher, mais ils n’ont point raisonné sur autre chose. Les seuls objets d’art sont quelques tableaux de Watteau et de Boucher. Encore font-ils disparate. Ils rappellent un autre âge. Est-ce qu’il subsiste encore chez nous quelque reste du XVIIIe siècle ? Est-ce que nous avons de vraies antichambres et la splendide parade de la vie aristocratique ? Tant de laquais nous ennuieraient ; si nous gardons des courtisans, c’est dans nos bureaux ; nous ne voulons chez nous qu’un bon fauteuil moelleux, des cigares choisis, un dîner fin, et, tout au plus pour les jours de représentation, l’étalage d’un luxe neuf qui nous fasse honneur. Nous ne savons plus prendre la vie en grand, sortir de nous-mêmes ; nous nous cantonnons dans un petit bien-être personnel, dans une petite œuvre viagère. Ici on réduirait le vivre et le couvert au simple nécessaire. Ainsi dégagée, l’âme, comme les yeux, pouvait contempler les vastes horizons, tout ce qui s’étend et dure au-delà de l’homme.

Un moine jaune, aux yeux brillans, l’air prudent et concentré, nous a conduits dans l’église. Il n’y a pas un corridor, une échappée de vue qui ne porte l’empreinte d’un artiste. À l’entrée, dans la cour nue, une vierge du Bernin, tortillée dans ses draperies mignardes, regarde son petit enfant, délicat et joli comme un amour de boudoir ; mais elle est grande et se sent de sa race, la race des nobles corps créés par les grands peintres. Quand ils ont décoré ce couvent, au XVIIe siècle, ils n’avaient plus la pure idée du beau, mais alors encore ils ne songeaient qu’au beau. Vous sentirez le contraste, si vous songez à l’intérieur de Windsor, de Buckingham-Palace ou des Tuileries.

L’église est d’une richesse extraordinaire. Ce qu’on y a entassé de marbres précieux, de sculptures, de peintures, est inouï. Les balustres et les colonnes sont des bijoux. Une légion de peintres et de sculpteurs contemporains, le Guide, Lanfranc, Caravage, le cavalier d’Arpino, Solimène, Luca Giordano, y ont prodigué les audaces, les grâces et les mignardises de leur pinceau. À côté de la grande nef, les chapelles latérales, la sacristie, déploient des centaines de peintures. Il n’y a pas un coin des plafonds qui n’en soit couvert. Tous ces corps s’élancent et se renversent comme dans l’air libre ; les vêtemens ondoient et se froissent, les chairs roses et vivantes luisent parmi les soies des tuniques, les beaux membres semblent prendre plaisir à s’étaler et à se mouvoir ; plusieurs saints demi-nus sont de jeunes hommes charmans ; un ange de Luca Giordano, en robe bleue, les jambes et les épaules nues, ressemble à une jeune fille amoureuse ; les poses sont exagérées, toute cette