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des pieds et des jambes nus, on s’intéresse aux formes ; on est content de voir le muscle du mollet se tendre pour pousser une charrette, s’enfler, embrasser la jambe ; l’œil suit sa courbe et descend jusqu’au pied ; on a plaisir à voir les doigts réguliers bien appuyés sur la terre, la bonne assiette de chaque os, la rondeur de l’orteil, l’aptitude et la force active de tout le membre. C’est de pareils spectacles quotidiens qu’est née autrefois la sculpture. Sitôt que vient le soulier, on ne peut plus parler, comme au temps d’Homère, « des femmes aux beaux talons, » le pied n’a plus de forme, il n’intéresse plus qu’un bottier, il ne fournit plus de modèles qui, se corrigeant par degrés l’un l’autre, laissent entrevoir la forme idéale. Autrefois le Romain, riche ou pauvre, le Grec montrait journellement la jambe, et aux bains, aux gymnases, tout son corps. L’habitude de s’exercer nu a été le trait distinctif du Grec ; on voit par Hérodote combien cette coutume choquait les Asiatiques et les barbares.

Le chemin de fer longe la mer à trois pas, presque de niveau. Un port paraît, rayé par les formes noires des agrès, puis un môle, un petit fort demi-ruiné qui fait ombre, et dont les arêtes vives tranchent sur cet épaulement de lumière. Tout à l’entour, des maisons carrées, toutes grises et comme brûlées, s’entassent, ainsi que des tortues, sous un toit rond qui leur fait une épaisse carapace. C’est Torre-del-Greco, qui se défend contre les tremblemens de terre et contre la pluie de cendre que lancera le Vésuve. Au-delà, la mer se brise en grosses lames qui se courbent et retombent comme une écluse. Tout cela est bizarre et charmant ; sur cette terre pleine de cendres et fertile, les cultures s’allongent jusqu’au rivage et font un jardin ; une simple haie de roseaux les défend contre le vent de la mer ; les figuiers d’Afrique, avec leurs raquettes lourdes, grimpent aux pentes ; la verdure commence à courir sur ces rameaux ; les abricotiers sourient sous leurs petites fleurs roses ; les hommes demi-nus travaillent sans effort dans le sol friable ; quelques jardins carrés ont des colonnes, et au milieu une petite statue de marbre blanc. Partout des traces de la joie et de la beauté antiques. Comment s’en étonner, quand on se sent accompagné de ce divin soleil printanier, de ce ruissellement d’or et de flamme liquide qu’on retrouve toujours à sa droite dès qu’on jette les yeux sur la mer ?

Comme on oublie aisément ici toutes les choses laides ! Il me semble qu’à Castellamare j’ai vu en passant de vilains bâtimens modernes, une gare de chemin de fer, des hôtels, un corps de garde, une quantité de voitures boiteuses qui se pressaient pour recueillir les étrangers. Tout cela s’est effacé, il n’en reste plus que le souvenir des porches sombres à travers lesquels on entrevoyait