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mission séculaire ! N’y a-t-il pas là comme un étrange oubli des devoirs et des justes limites de l’administration ?

Il est vrai qu’on va nous répondre : « Ce corps que vous vantez, nous le trouvons caduc. Ses doctrines nous semblent étroites, ses traditions banales, ses leçons surannées, et nous ne pouvons pas souffrir, nous responsables envers le souverain, qu’un tel enseignement se prolonge de notre aveu. Nous ne sommes pas éternels, c’est vrai : demain peut-être on se passera de nous ; mais tant qu’on nous laisse juges de la meilleure façon de conduire les beaux-arts, nous devons en conscience, sous notre responsabilité, détruire ce qui nous semble mauvais et fonder ce qui nous paraît bon. »

Rien de plus juste assurément ; mais supposez un régisseur qui se croirait tenu, par la même logique, à couper les arbres de son maître, de vieux ombrages, selon lui, surannés, sauf à les remplacer par d’autres à son goût, mais plantés de la veille : si consciencieux que fût ce mandataire, le maître, à son réveil, aurait-il grand sujet de lui faire compliment ? Les auteurs du décret ne pouvaient-ils trouver quelque moyen moins vif d’obéir à leur conscience, de garantir leur responsabilité ? Puisqu’ils voulaient faire du nouveau, que ne fondaient-ils sans détruire, satisfaisant leur propre goût sans offenser celui des autres ? Ils croient que d’un trait de plume on peut établir une école, lui donner des racines, lui faire porter des fruits ; n’en pouvaient-ils tenter l’expérience ailleurs qu’à l’École des Beaux-Arts ? S’ils avaient, par exemple, agrandi, transformé, cette autre école de dessin qui a déjà rendu plus d’un service, l’école du quartier latin, l’école populaire, la grande école communale de Paris ; si d’emblée ils en avaient fait la seconde école de l’état, la comblant de largesses, lui donnant tout ensemble cette étendue, cette variété d’enseignemens, cette abondance de modèles, ces facilités de tout genre dont est déjà dotée, aux bords de la Tamise, la création récente de Kensington ; si dans ce lieu, devenu leur œuvre, il nous avaient fait voir l’art tel qu’ils le comprennent, tel qu’il faut l’enseigner, l’art vraiment libre, l’art novateur, et si, portant défi à leur vieille adversaire laissée par eux dans l’ombre, abandonnée à son indépendance et à ses traditions, ils avaient établi entre les deux écoles des luttes, des concours, où les merveilles de l’enseignement nouveau auraient mis à néant les misères de l’ancien, nous n’aurions aujourd’hui que des éloges à leur donner.

La concurrence, voilà la guerre qu’il fallait déclarer, guerre loyale, en champ clos, qui ne tue pas les gens, mais qui les aiguillonne. Nous aurions applaudi à toute création d’une école nouvelle, même un peu téméraire ; pourquoi ? pour que l’ancienne en fût mieux stimulée. Chaque fois en effet qu’on l’a vue, dans les deux