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les servitudes de police à tous les détails de l’activité privée qu’elles pouvaient atteindre. Il y eut donc alors, quoi qu’on en ait dit, un temps d’arrêt très marqué dans la marche de l’économie politique. Un fait peu connu va le prouver. En 1803, en plein consulat, avait paru le Traité d’économie politique de Jean-Baptiste Say ; les élémens de la science y étaient résumés de la manière la plus claire et la plus concise. Le succès avait été prompt, le débit rapide ; le public prenait goût à ces nouveautés. Ce n’était pas le compte de l’homme qui taillait un gouvernement à sa guise et n’entendait pas être troublé dans cette opération. Ni l’auteur, ni ses idées, ne lui agréaient. Jean-Baptiste Say était membre du tribunat, corps indocile qui allait être mutilé. Suspect à ce titre, il venait de se rendre plus suspect encore par les hardiesses de sa publication. L’indépendance, quelque forme qu’elle prît, était alors de nature à déplaire. Le premier consul toutefois aimait mieux rallier les hommes qui avaient fait leurs preuves que de briser leur carrière. Jean-Baptiste Say fut invité à dîner à la Malmaison, et au sortir de table, dans les allées du parc, s’engagea un entretien dont les détails ont été recueillis avec soin. Le premier consul y apporta sa vivacité ordinaire. Il parla d’abord du délabrement des finances, de l’intention où il était de les relever, et il exposa ses moyens, qui n’avaient plus, selon lui, besoin que de bons auxiliaires. Puis il en vint aux livres et dit dans quel esprit ils devaient être conçus : il attendait des auteurs des services et non des conseils. Le Traité, par exemple, dont il ne contestait pas le mérite, deviendrait bien meilleur, s’il pouvait être converti en ouvrage de circonstance à l’appui de ses projets. C’était déclarer que l’économie politique ne serait désormais supportée qu’à la condition d’être officieuse. Devant ces ouvertures, qui renfermaient à la fois une avance et une menace, Jean-Baptiste Say ne fléchit pas ; il ne se laissa ni gagner ni désarmer. Il mit son refus sur le compte de la science, qui ne se prêtait pas à ces accommodemens. Le premier consul comprit à qui il avait affaire et rompit brusquement l’entretien. La revanche ne se fit pas attendre. À quelque temps de là, le nom de Jean-Baptiste Say figurait dans la liste des épurations du tribunat ; il est vrai que par compensation on le nommait directeur des contributions indirectes. Quoique sans fortune et chargé de famille, il déclina ces fonctions. Plus tard, un dernier coup lui fut porté, le plus criant de tous, La seconde édition de son Traité allait être mise sous presse ; la direction de la librairie frappa l’ouvrage d’interdit. Condamné au silence, Jean-Baptiste Say se rejeta vers l’industrie, et devint filateur de coton. Pendant douze années de sa vie, dans la maturité de son talent, sa plume fut enchaînée, et il racontait lui-même qu’il cacha,