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fût, des opinions peu respectueuses, et se sentait plus disposé à limiter ces fonctions qu’à les élargir. Dans une chaire, de tels sentimens ne pouvaient être exprimés que d’une manière très adoucie. Say ne se refusa pas aux tempéramens nécessaires ; il prépara ses leçons avec soin et en écarta ce qui aurait causé de l’ombrage. Le cours fut ouvert et très suivi. Le tour en était familier, bien approprié à l’auditoire, semé de détails qui venaient à l’appui des démonstrations et faisaient entrer les points de doctrine dans les intelligences les moins préparées. Ce cours est resté manuscrit ; l’objet de l’économiste était rempli, et n’allait pas au-delà d’un effet de circonstance. L’orateur avait voulu s’essayer et essayer le public dans le genre qu’il avait choisi ; l’épreuve avait été bonne : les applaudissemens n’avaient manqué ni à la science ni à son interprète. Il semblait démontré qu’un cours d’économie politique avait des chances de réussir, même dans un cadre plus méthodique ; le succès ne dépendait que de l’art du professeur. Dans le monde savant, ce n’était plus l’objet d’un doute ; les encouragemens se multipliaient ; des hommes accrédités se mettaient à la disposition de Say pour faire les premières démarches. Le plus actif, le plus dévoué, fut le baron Thénard. On s’aboucha, on s’entendit sur le plan à suivre pour forcer les portes de l’enseignement officiel. Il y avait plus d’une prévention à vaincre et plus d’un combat à livrer. À quelque corps qu’on s’adressât, Collège de France, facultés, Conservatoire des arts et métiers, on rencontrait un conseil de professeurs qui répugnait aux adjonctions, ou ne s’y prêtait que de mauvaise grâce. D’autres obstacles plus sérieux se présentaient. L’esprit des chambres législatives se portait chaque jour avec plus de violence vers un régime de protection pour les industries. C’était comme un vertige d’un caractère si tenace qu’il n’est pas encore détruit ; un ministre ne l’eût pas affronté impunément. Créer des chaires d’économie politique eût passé pour une trahison. Était-ce là une science ? Non, mais une machine de guerre sous un nom spécieux. Ce nom seul constituait une révolte contre les pouvoirs établis et les pratiques dominantes, une censure des lois rendues ou des lois en projet, une atteinte au respect dont elles devaient rester environnées. Ainsi parlait-on sur les bancs de la majorité : pour les uns, l’économie politique était une puissance, et on lui opposait des raisons d’état ; pour les autres, c’était une faction contre laquelle il eût fallu sévir. Qu’attendre d’esprits ainsi disposés, si ce n’est des dénis de justice ?

Ces empêchemens ne ralentirent pas le zèle des intermédiaires qui avaient ouvert les négociations. Ils n’avaient à leur service qu’un argument décisif, et ils le firent obstinément valoir. Ce que