Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 54.djvu/970

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les forêts de l’état. Ces objets représentent à peu près ce qu’ils coûtent, soit par les superficies, soit par les matériaux ; ils peuvent rentrer dans la circulation après en avoir été distraits pour une jouissance commune ; ils gardent cette faculté, même quand cette jouissance persiste. Latente ou apparente, la valeur d’échange reste donc le fait dominant et le seul qui puisse être bien déterminé ; la valeur d’usage resterait à peu près insaisissable. Elle ne porterait que sur des exceptions où la valeur d’échange va jusqu’à s’effacer, et ces exceptions ne méritent pas qu’on charge la science d’une définition de plus.

Dans ces deux cas, on peut voir ce qu’à de pénétrant l’esprit de Rossi, Autant il éclaire sur les points de doctrine qui ne sont pas contestés, autant il donne à réfléchir sur les points douteux. Ses méprises même tiennent à des qualités supérieures. Dans ce qu’il dit sur les prix de revient, c’est la raison du jurisconsulte qui cherche à réagir contre les vicissitudes du marché et à ramener à leur ordre naturel des opérations où le hasard lui paraît exercer trop d’influence. Dans ce qu’il propose sur la valeur en usage, c’est l’observateur scrupuleux qui rencontre un détail en dehors du classement habituel et trouve opportun de l’y introduire. Ce sont là de bons exercices, des controverses de nature à fortifier le jugement. Le cours de Rossi en est plein ; l’intelligence y est sollicitée à un perpétuel travail. Il est à regretter qu’il ait volontairement abandonné la tâche au moment où il la remplissait avec le plus d’éclat. Tout incomplet qu’il est, ce cours marque une date dans l’histoire de l’économie politique. Aujourd’hui encore c’est par son passage dans sa chaire que la mémoire de Rossi est le plus solidement protégée. Ses leçons circulent dans un auditoire agrandi et qui constamment se succède. Ce qu’on y admire surtout, c’est la puissance avec laquelle il s’était emparé de notre langue. L’idiome natal est pour l’homme un instrument familier, acquis sans peine, assoupli par l’usager dans lequel sa pensée se fait jour sans embarras et d’une façon directe. Un idiome étranger complique ce travail d’une opération de plus ; l’idée n’arrive que d’une manière indirecte et franchit deux degrés au lieu d’un : il y a traduction mentale, rapide si l’on veut, mais forcée. Chez Rossi, cet effort est imperceptible. Ni le tour, ni la phrase ne se ressentent de la difficulté d’origine ; il est impossible d’être plus français et de l’être dans un meilleur style.

C’est en 1840 que Rossi descendit de sa chaire ; avec lui finit ce que j’ai appelé la première génération des professeurs. Elle se rattache, par le temps où elle a vécu, aux grandes écoles qui se répandaient en Europe et soutient avec avantage la comparaison ; elle a fourni des maîtres, dont les noms ne périront pas et dont l’autorité