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ponts et chaussées, M. Joseph Garnier ne s’adressait qu’à un auditoire spécial, accru par un petit nombre d’admissions. Quelques cours libres avaient, il est vrai, marqué leur passage dans nos provinces : à Pau, à Montpellier, à Bordeaux et à Nice, M. Frédéric Passy ; à Reims, M. Victor Modeste ; à Paris, dans l’amphithéâtre de l’École de Médecine, M. Du Puynode. Ni le talent ni le dévouement ne manquaient à ces professeurs volontaires ; ce qui leur manquait, c’était la suite et la durée qui seules assurent l’effet des leçons.

C’est dans cette situation que les décrets de 1864 ont paru ; ils étaient le premier acte de justice que l’économie politique eût obtenu depuis bien des années. En revanche, les persécutions ne l’avaient pas épargnée, et il suffit de citer dans le nombre la destitution brutale de M. Michel Chevalier, rapportée, il est vrai, à quelques mois de là. M. Joseph Garnier avait été également menacé dans la chaire modeste qu’il occupe. Le langage des deux ministres qui ont contre-signé les nouveaux décrets est la garantie de jours meilleurs. Le ministre du commerce, n’intervenant que pour un rétablissement d’attributions, se borne à dire que l’importance qu’ont prise dans ces derniers temps les études économiques ne permet plus de les laisser en dehors de l’enseignement du Conservatoire. Le ministre de l’instruction publique, ayant une chaire à créer, entre plus avant dans le développement de ses motifs. Il commence par déclarer que l’économie politique est une science complète, affermie par un siècle de discussions, qu’elle va au-delà de l’étude de la richesse publique, et qu’intéressant la liberté et la dignité de l’homme, elle se rapproche des plus pures spéculations de l’esprit. À ses yeux, il est temps de lui donner dans l’enseignement le rang qu’elle occupe dans le sentiment public. Sa place serait à la Sorbonne, au sein de la faculté des lettres, entre la chaire de philosophie et celle d’histoire ; mais ce n’est là qu’une question de forme. Mieux vaut consulter les besoins que les affinités, et créer une chaire là où elle rendra le plus de services. À ce point de vue, la faculté de droit est naturellement désignée : deux mille cinq cents élèves passent chaque année sur ses bancs, et le tiers de ces élèves va répandre dans nos provinces le bénéfice des notions acquises. Il y a d’ailleurs des précédens : une ordonnance de 1819 avait institué cet enseignement dans la même faculté, et en 1847 M. de Salvandy était à la veille de l’y rétablir. C’est ce que le ministre propose, et il regrette que les limites de son budget ne lui permettent pas d’étendre la mesure aux autres facultés de droit. La chaire de Paris sera une pierre d’attente ; elle préparera des professeurs qui iront ensuite porter la science aux départemens. Enseignée dans de grandes chaires, l’économie politique accroîtra la somme des vérités utiles, mettra les intérêts d’accord