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l’aise chez elle, cherche à se loger ailleurs, et, faute d’alimens, essaie de se nourrir de rapines. Elle s’attirera de mauvaises querelles de la part des sciences qu’elle trouble et a l’air de vouloir dépouiller. La sagesse la plus élémentaire conseillerait de mettre un frein à ces écarts d’imagination, peu compatibles avec une science qui est avant tout positive.

C’est sur la philosophie et la morale que ces empiétemens se sont surtout exercés. Tout récemment encore, un débat au moins oiseux s’est élevé dans le sein de l’école. Il s’agissait de savoir si l’économie politique était spiritualiste ou matérialiste. Cette question eût causé aux premiers maîtres quelque étonnement, si elle ne les eût pas mis en gaîté. Spiritualiste ou matérialiste, voilà une alternative impérieuse, et de bien gros mots pour une science qui n’aspire ni à tant d’honneurs ni à tant d’embarras. De tels mots eussent même exigé des commentaires préjudiciels. Ils ont peut-être en philosophie un sens déterminé ; ils n’en ont point en économie politique. Veut-on dire par là qu’il y a lieu d’examiner jusqu’à quel point et dans quelles proportions l’esprit et la matière concourent aux opérations que l’économie politique embrasse et ramène, après les avoir définies, à des principes fondamentaux ? Dans ce cas, il y a d’abord une distinction à établir entre l’agent et l’acte. Est-il question de l’agent ? L’agent, c’est l’homme qui dompte, façonne et discipline la matière. Il faut, pour accomplir ce travail, qu’il réfléchisse, conçoive, combine, imagine, et ce sont là autant de phénomènes intellectuels, autant d’attributs de la pensée. À ce degré, de quelle science relèvent les recherches ? Évidemment de la philosophie. C’est à elle qu’il appartient de saisir, si elle le peut, cette pensée à sa naissance et de la suivre jusqu’au moment où par la force des choses elle lui échappe. L’économie politique n’a pas à s’engager dans de tels mystères. Elle prend l’homme comme il est, avec ses facultés et ses forces, moins occupée de savoir d’où elles proviennent qu’à bien observer à quoi elles s’appliquent. Elle a dans son sein assez de subtilités d’école, assez de problèmes à résoudre, pour qu’elle n’y ajoute pas les problèmes et les difficultés des écoles idéalistes. À ces dernières le soin d’expliquer comment l’esprit met du sien dans les métamorphoses de la matière, et de quelle façon et à quelle dose il les prépare et les anime.

Voilà pour l’agent, voyons ce qu’est l’acte. L’acte, isolé de son inspiration, est de sa nature matériel. Il se résume en un produit qui se débite, se transporte et se consomme. Un fermier vend son grain, un meunier l’achète ; quelque bonne volonté qu’on y mette, il est difficile de trouver du spiritualisme là dedans. Des économistes raffinés y sont pourtant parvenus. Cet acte implique une