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certaine façon de se conduire. Un marché peut être honnête, il peut ne l’être pas. Il existe de par le monde beaucoup de fortunes suspectes, des opérations véreuses que la loi n’atteint pas et que la conscience réprouve. Est-il permis de croire que l’économie politique n’ait rien à y voir ? Elle fait, dit-on, de la richesse une entité abstraite sans tenir compte de la manière dont la fortune s’acquiert. C’est méconnaître un devoir et mériter les qualifications malsonnantes qu’on lui donne. Même comme doctrine, ajoute-t-on, il y a là un oubli et un vide. La science, dans ses définitions des capitaux, a négligé les plus essentiels. L’honnêteté est un capital, la vertu est un capital. À les analyser avec soin, on verrait ce qu’elles rapportent. Ce champ de découvertes et d’acquisitions offrirait à l’économie politique des satisfactions tout autres que les recherches trop étroites où elle se renferme. On ne l’accuserait plus d’être la servante de la fatalité, se bornant à un enregistrement des faits pour en tirer des principes aveugles. Elle se formerait des croyances comme elle s’est formé des doctrines. — Ainsi parlent les économistes de sentiment, ce qui reviendrait à dire que l’économie politique doit procéder comme la casuistique et joindre au gouvernement des intérêts la police des mœurs. Le rôle auquel on la convie n’est pas sans opportunité ni grandeur, et en réalité elle l’a toujours rempli dans la mesure qui lui convient. On voudrait qu’elle excédât cette mesure, qu’elle fît directement ce qu’elle fait indirectement, que, dans la récolte assez mêlée qu’obtient l’activité humaine, elle distinguât mieux le bon grain de l’ivraie. Ce serait l’entraîner hors de ses limites. Il y a une science constituée pour cela et qui n’a pas démérité, c’est la morale. Qu’il y ait des rapports entre l’économie politique et la morale, personne ne le conteste, et MM. Baudrillart et Dameth l’ont fort bien établi ; mais il n’y a pas identité. La morale a, sur bien des points, des vues distinctes où l’économie politique ne s’ingérerait pas sans confusion ni équivoque. Les deux sciences n’envisagent pas la richesse du même œil, ne la jugent pas d’après les mêmes principes. S’il existe entre elles des affinités, il existe aussi des incompatibilités que vainement on essaierait de méconnaître ou d’affaiblir. Ici encore il convient de se défendre d’ambitions trop vastes et de contenir cette passion d’agrandissemens dont le moindre tort est d’être irréfléchie.

Jusqu’où peut se porter cette passion, on va le voir. Ce n’était point assez que la philosophie et la morale fussent mises en cause et menacées dans leurs attributions ; de prétention en prétention, l’économie politique en est arrivée à s’immiscer dans d’autres sciences et dans les arts qui en découlent. Les produits dont elle doit s’occuper sont, on l’a vu, surtout matériels. C’est la généralité