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tout ce qui prend la forme d’un engouement fugitif. De loin en loin, il se produit dans l’opinion des courans auxquels résistent seuls les esprits exercés à qui ces scènes sont familières. Une question est soulevée inopinément, et si la veine est heureuse, tout le monde, s’en empare ; il n’est bruit que de cela. Comment se forment ces courans, comment disparaissent-ils, c’est le secret du hasard ; mais quand ils règnent, on peut d’avance prévoir qu’ils disparaîtront aussi vite qu’ils sont nés. Après quelques semaines d’effervescence, il n’y a que les attardés qui s’en occupent. Je n’en citerai qu’un exemple pour rendre sensible le fait que je viens d’indiquer. Sous les règnes précédens, il y eut une campagne ouverte au sujet de la réforme pénitentiaire. Deux camps s’étaient formés : on était pour la mise en cellule ou contre cette peine. Des noms d’une grande valeur furent engagés dans le débat. Ceux qui appuyaient la mesure y voyaient un rempart contre les récidives ; ceux qui la repoussaient se présentaient armés de chiffres terribles contre cette aggravation, au bout de laquelle ils n’apercevaient que mort, cas de folie et d’hébétement. Les choses en restèrent là ; depuis lors on a expédié à petit bruit nos chiourmes à Cayenne, dans le séjour le plus insalubre du monde. Qui s’en est inquiété ? A-t-on dressé des tables de mortalité ? S’il faut en croire un témoignage qui n’est pas suspect, elle dépasse de beaucoup celle de la cellule. Un amiral que la flotte a perdu récemment, et qui avait administré une de nos colonies, s’en expliquait un jour devant moi avec une franchise militaire. L’entretien était tombé sur les forçats des îles du Salut et du continent voisin. « Oh ! ceux-là, dit-il, ne nous mettent point en peine. À leur arrivée, on leur prend mesure d’une redingote en sapin, et ils ne sont pas longtemps à l’endosser. » Cette redingote en sapin a une signification bien funèbre. Qu’en pensent les champions de la réforme pénitentiaire ? Ils se taisent ; l’objet a passé de mode. Un autre exemple peut être tiré de la question de l’esclavage. L’Angleterre, qui, pour l’abolir, avait mis en péril la paix du monde, et s’était constituée la gardienne des mers, assiste aujourd’hui avec indifférence, si ce n’est avec hostilité, à la plus grande entreprise d’abolition que le monde ait jamais vu se produire. Le moment de la désuétude est venu, et il semblerait que, cette heure sonnée, plus les esprits ont été surmenés, plus ils se détendent. La place est livrée à d’autres engouemens ; ils se succèdent, la scène n’est jamais vide, et les curieux ne manquent pas. S’agit-il d’associations, il y en a pour tous les goûts, financières, alimentaires, commerciales, industrielles, coopératives, corporatives : vite aux associations ! S’agit-il de lectures, vite aux lectures ; de physique récréative, vite à la physique récréative ! Sérieusement ce sont là pour les sciences qui se piquent d’être exactes des pièges et des périls. Elles ne doivent