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devait être ainsi, donc il en fut ainsi. » Voyez par exemple le quatrième Évangile. Pour une critique rigoureuse, il est visible qu’il subordonne systématiquement l’ordre chronologique, la tendance de ses récits, au dogme du Verbe incarné. Voilà pourquoi la critique moderne s’accorde de plus en plus à reconnaître que, si l’on veut faire de l’histoire, c’est le Jésus des trois premiers Évangiles, et non celui du quatrième, qu’il faut prendre pour type.

Irénée doit avoir puisé en Asie-Mineure les principes généraux de cette école johannique dont la doctrine du Verbe devenu chair formait le lien essentiel. Quand vint-il en Occident? On n’en sait rien. Accompagna-t-il son maître Polycarpe dans le voyage que celui-ci fit à Rome au temps de l’évêque Anicet, vers l’an 157? Fut-il envoyé dès lors dans les Gaules en qualité de missionnaire? Il était bien trop jeune pour cela, et quand on se rappelle qu’en 177 il avait encore besoin d’être recommandé à Éleuthère par les chrétiens de Lyon, il est bien plus naturel de penser qu’il n’habitait cette ville que depuis quelques années. Il est probable toutefois qu’il y vint avec l’intention de propager le christianisme dans cet immense Occident qui tardait si longtemps à s’ouvrir à la foi chrétienne. Peut-être l’ardent Polycarpe fut-il étonné de voir les choses marcher si lentement dans notre partie du monde, et ses récits furent- ils pour beaucoup dans la détermination que prit son disciple de s’y rendre. On peut affirmer toutefois qu’il n’arriva pas à Lyon sans avoir fait auparavant une station assez longue à Rome, car ses souvenirs d’Asie sont ceux d’un adolescent, tandis qu’il connaît la tradition romaine comme quelqu’un qui a cherché à l’étudier avec maturité et réflexion.

Quoi qu’il en soit, c’est à partir de la sanglante persécution lyonnaise qu’Irénée marque dans l’histoire de l’église. A son retour de Rome, il fut appelé à succéder à Pothin comme évêque, dans le sens du moins que le mot évêque avait en ce temps-là. C’était encore le presbytérat ou le conseil des anciens qui gouvernait l’église de chaque localité, et l’évêque n’était qu’un primus inter pares à qui le dépôt de la saine doctrine était confié plus spécialement, comme par une sorte de fidéicommis, et en qui le corps entier de la communauté aimait à se voir représenter dans son unité. De bonne heure en effet le goût de l’unité passionna l’église chrétienne. Irénée lui-même, tout enclin qu’il était à rehausser le pouvoir épiscopal, nous fournit à chaque instant la preuve que, de son temps, il n’y avait pas encore de différence spécifique entre l’évêque et les presbytres. Ce qui seulement était accompli déjà, c’est qu’auparavant les deux noms d’évôques et de presbytres désignaient une seule et même fonction, tandis que désormais il y a dans chaque