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d’une coopération sérieuse dans la question polonaise, il suffisait maintenant d’un mot de lord Russell, d’une assurance en cas d’attaque de la part de la Russie, pour obtenir l’adhésion de l’Autriche à l’acte de déchéance, — et alors qui oserait douter des chances de salut qui surgissaient pour les Polonais dans leur suprême détresse ? Mais ce mot, le cabinet de Saint-James ne voulut jamais le prononcer. L’Angleterre n’entendait prendre aucune obligation, n’entendait répondre en rien des suites des mesures qu’elle était cependant la plus ardente à recommander. Lord Russell se montra même assez surpris des appréhensions et des exigences de M. de Rechberg ; il pensait ingénument que la cour de Vienne devait se contenter de la satisfaction morale que lui procurerait « une attitude digne vis-à-vis de l’orgueil provoquant, du gouvernement russe ; » il croyait de plus que la déclaration de déchéance ne saurait en aucun cas avoir d’autre résultat que de faire peut-être adopter à la Russie une ligne de conduite « plus satisfaisante, » — et avant de prendre des engagemens d’une nature quelconque il aima mieux, en dernier lieu, se passer du concours de l’Autriche.

Est-il besoin de dire qu’après cette retraite forcée du gouvernement de Vienne, la mesure tant prônée par lord John perdait, aux yeux de la France, presque tout son prix ? Ce n’est que l’assentiment de l’Autriche qui, dans l’opinion du cabinet des Tuileries, pouvait donner à cet acte une valeur pratique, le faire aboutir à une œuvre de délivrance et de restauration ; réduit aux seules signatures de la France et de l’Angleterre, il ne conservait plus que le caractère d’un jugement abstrait, et avait de plus, au gré de Paris, l’inconvénient d’en appeler aux fâcheux traités de 1815… Toutefois M. Drouyn de Lhuys donna au principal secrétaire d’état l’assurance formelle qu’aussitôt que lord Napier aurait remis au prince Gortchakov une note dans le sens du discours de Blairgowrie, le duc de Montebello s’empresserait de faire de son côté une déclaration analogue à la cour de Saint-Pétersbourg, — si grand était le désir du cabinet des Tuileries de voir l’Angleterre faire un pas en avant, si faible aussi sa confiance dans la fermeté des hommes d’état britanniques, alors même qu’il s’agissait d’un acte d’une portée purement morale et dû à leur propre initiative. Lord Russell écrivit donc sa dépêche ; elle fut lue au conseil, obtint l’approbation de lord Palmerston, et copie en fut donnée au ministre des affaires étrangères de France. Déjà lord Napier avait été avisé d’informer le prince Gortchakov d’une « communication importante » qu’il aurait bientôt l’honneur de lui transmettre, et le duc de Montebello était également instruit par son gouvernement d’avoir à appuyer son collègue de la Grande-Bretagne dans sa solennelle déclaration ; déjà