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rêtées. L’évangile de Jean est muet sur la question d’église. Dans les épîtres de Jean, surtout dans les deux dernières, le soin de maintenir la doctrine est déjà plus marqué. C’est dans la seconde (v. 10) qu’il est recommandé aux fidèles de ne pas recevoir chez eux et de ne pas saluer quiconque ne confesse pas la vérité dogmatique chère à l’auteur. Cette modification de l’école ne doit pas nous étonner. Au moment de son apparition, la doctrine du Verbe descendu du ciel pour illuminer les hommes suppose que le christianisme a déjà fait des progrès notables. Tel était le cas dès le iie siècle, surtout en Asie-Mineure, comme on le voit par la lettre de Pline le Jeune à Trajan. Il y aurait eu en effet quelque chose d’inadéquat, comme on dit en logique, ou même de ridicule, à prétendre que le Verbe de Dieu venu sur la terre n’aurait réussi à éclairer qu’une poignée d’hommes. Non, le Verbe devait éclairer toute conscience humaine. Par conséquent l’idée d’une grande église catholique professant partout les mêmes croyances et manifestant son unité par celle de son organisation, de sa hiérarchie, de ses rites, devait marcher de pair avec la doctrine du Verbe incarné. Les deux idées s’appelaient en quelque sorte l’une l’autre. Aussi est-il conforme à cette logique interne qui préside aux évolutions de la pensée religieuse que la doctrine du Verbe soit devenue la doctrine catholique, et réciproquement que les hommes animés du vif désir de constituer le catholicisme aient embrassé avec ardeur la doctrine du Verbe.

Cependant, pour que la chrétienté se transformât de la sorte, il fallait qu’elle oubliât son passé ; il fallait qu’elle perdît la mémoire des luttes qui avaient divisé les apôtres eux-mêmes. Il fallait qu’elle pût s’imaginer que l’unité de doctrine n’était pas seulement un fait d’aujourd’hui, le résultat d’efforts récens et laborieux, mais qu’elle n’avait pas cessé depuis les premiers jours, et que, par une tradition ininterrompue, elle avait été directement transmise des apôtres aux fidèles. Eh bien ! tant il est vrai que l’on croit facilement ce que l’on désire, l’église se laissa tromper sur ce point avec une facilité d’autant moins explicable, que très évidemment ceux qui la trompèrent furent eux-mêmes dupes tout les premiers de cette illusion. Nous avons dit combien peu l’école johannique avait le sens de la réalité historique. Irénée, son élève et son écho, ne l’a pas plus qu’elle, et à chaque instant on peut le surprendre déformant l’histoire sans mauvaise intention à coup sûr, mais avec ce genre terrible de bonne foi qui réussit cent fois mieux que la ruse, parce qu’il a l’aisance de l’ingénuité.

Par exemple, comment est-il possible que, pour favoriser une théorie dogmatique d’après laquelle il fallait que Jésus eût sanctifié tous