Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/1024

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’amoncellent dans certaines régions de l’Amérique équatoriale. C’est bien une seule et même famille, qu’unissent visiblement des caractères communs ; mais quelle variété dans les apparences ! et comment se représenter ces singulières végétations, si l’on ne connaît que les points de ressemblance ?

Sans prétendre passer en revue les cent systèmes nés du gnosticisme, on s’en tiendra ici à deux des plus célèbres, qui méritent d’être décrits avec quelque détail, — celui de Marcion, l’un de ceux qui s’écartent le moins du christianisme évangélique, et celui de Valentin, l’un de ceux qui s’en écartent le plus. C’est contre ces systèmes, plus répandus que les autres, qu’Irénée dut surtout entrer en campagne. Marcion et Valentin doivent s’être rencontrés à Rome vers 140.

Marcion, jeune encore, quitta l’Asie-Mineure, laissant derrière lui une mauvaise réputation : on l’accusait d’avoir violé une vierge. Cette accusation est répétée par la plupart des pères, mais on ne peut guère, à l’origine, y voir autre chose qu’une manière mystique de dire qu’il avait, par son hérésie, déchiré le sein de l’église. Quoi qu’il en soit, on peut voir que l’idée dont il partit fut que l’Evangile était, non pas le perfectionnement ou le fruit, mais la négation pure de la religion de l’Ancien Testament. Ce fut la thèse de Paul sur l’antagonisme de la loi et de la foi élevée jusqu’à l’antagonisme du Dieu de la loi et du Dieu de la foi. On sait combien peu l’apôtre des gentils réussit à implanter dans les esprits sa théorie de l’impuissance de la loi pour sauver l’homme et son dogme corrélatif de la justification par la foi. L’église, sans retourner précisément au judaïsme, s’en détachant même toujours plus quant aux formes, ne comprit guère l’Évangile autrement que comme une législation nouvelle supérieure, mais analogue à celle qui l’avait précédée. Marcion au contraire fut du petit nombre de ceux qui maintinrent fermement l’idée paulinienne, la dépassèrent même, et ne voulurent voir dans la loi qu’une religion rigide et dure, dans l’Évangile qu’une religion de grâce. Là-dessus il bâtit tout un système gnostique. Il y avait, selon lui, trois principes des choses : le Dieu inconnu, dont l’essence est bonté pure ; l’architecte du monde ou démiurge, dont la justice inexorable était l’attribut essentiel ; enfin la matière, avec son méchant souverain, le diable. D’après ce système, tourmentés à la fois par Jéhovah et par le diable, en lutte constamment pour la prééminence, les hommes eussent été voués à une incurable misère, si le Père, jusqu’alors inconnu, n’eût envoyé brusquement l’être divin nommé Christ pour les enlever au pouvoir de l’un et de l’autre. Au lieu d’admettre un développement, une épuration successive de l’idée de Dieu, Marcion, frappé