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eux qui eût osé, dans un tel état de choses, conseiller l’action. Ne serait-ce pas là, se demandait-on dans la Burg, se mettre complètement à la merci de la France et aller vers l’inconnu ? Était-on du reste bien sûr des intentions du gouvernement français, et l’intermède bizarre du mois d’août, le langage tenu à cette époque par la presse officieuse, ne devaient-ils pas servir d’avertissement à cet égard ? Sans le dire aussi crûment ou aussi franchement que M. de Rechberg, le cabinet des Tuileries, par toute sa conduite, n’indiquait-il pas assez clairement que lui aussi se réservait le droit de changer d’attitude, s’il lui devenait « avantageux » de le faire ? Et on se plaisait à démontrer que, malgré toutes ses éloquentes plaidoiries pour la Pologne, le gouvernement français s’était bien gardé de toute démarche qui l’aurait irrévocablement compromis envers la Russie, qui aurait rendu la rupture décisive et un retour impossible. « Après tout, disait alors un homme d’état autrichien, il n’y a jusqu’ici encore que nous qui ayons donné des gages aux Polonais contre la Russie, et quant à les reconnaître comme bélligérans, nous l’avons déjà fait depuis longtemps… en Galicie ! »

Les inquiétudes augmentèrent dans la Burg sous l’impression du silence qu’on gardait à Paris après la dernière et très blessante réponse du prince Gortchakov ; on ne comprenait rien à cet excès de réserve et de modération. Il est vrai que le Moniteur du 22 septembre insérait à l’improviste, dans sa partie non officielle, une pièce assurément curieuse, une longue dépêche-mémorandum que le 15 août le gouvernement insurrectionnel de Varsovie avait adressée au prince Czartoryski, et qui soumettait à une critique sévère les argumentations de la chancellerie de Saint-Pétersbourg, ainsi que la conduite du gouvernement moscovite ; mais dans leur détresse les Polonais seuls pouvaient voir dans cette publication l’indice de graves mesures, et on citait à ce sujet à Vienne le mot d’un diplomate russe qui, interrogé sur cet incident, aurait répondu qu’il ne lisait jamais dans le Moniteur les faits divers. Par contre, et à cette même date du 22 septembre, M. Drouyn de Lhuys envoyait à ses agens à l’étranger une circulaire où le cabinet des Tuileries semblait se désister de toute initiative dans la conduite ultérieure de la question. La France, maintenant son point de vue, déclarait la cause polonaise un intérêt européen ; elle déplorait « qu’un concert préalable et formel en vue d’une situation hypothétique » n’eût pu être « établi d’avance » entre les trois cours intervenantes, et annonçait « ne pouvoir désormais qu’attendre les communications que les alliés croiraient utile de lui faire. » La communication vint de l’Angleterre, et elle avait cette fois un caractère assez sérieux : elle était de nature à faire faire un pas décisif à la question