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ces splendeurs mouvantes font un chœur angélique entre les noires parois des amphithéâtres ; la plaine a disparu, on n’aperçoit que les montagnes et les nuages, les vieux monstres immobiles et sombres, et les jeunes dieux vaporeux, légers, qui volent et se fondent capricieusement les uns dans les autres, et prennent pour eux seuls toute la caresse du soleil.


L’église est du XVIIe siècle, peinte par Luca Giordano et par le Josépin. Comme la chartreuse de Naples, on l’a revêtue de marbres précieux incrustés les uns dans les autres, en sorte que le pavé ressemble à un beau tapis, et les murs à un riche papier peint. L’ancienne gravité et l’ancienne énergie de la renaissance disparaissaient ; on touchait déjà aux mœurs de cour et de salon. Aussi l’architecture est l’œuvre d’un paganisme mondain et montre un dilettantisme de décorateur ; coupoles, arcades, colonnes tordues, corinthiennes, de tout genre, figures sculptées, dorures, ils ont entassé là toutes les ressources de leur art. Les stalles du chœur sont travaillées avec un fini étonnant, couvertes de figurines et de feuillages. Les peintures plafonnent dans la coupole, s’étalent dans la nef, regorgent sur les chapelles, s’emparent des coins, se déploient en compositions énormes sur le portail et sur les voûtes. Le coloris flatte l’œil comme une robe de bal. Une charmante Vérité de Luca Giordano n’est presque vêtue que de ses cheveux blonds ; une autre figure, la Bonté, est, dit-on, le portrait de sa femme. Les autres Vertus, si gracieuses, sont les riantes et amoureuses dames d’un siècle qui, assis dans la paresse et résigné au despotisme, ne songeait plus qu’à la galanterie et aux sonnets. Le peintre froisse la soie, tortille les étoffes, suspend des perles aux oreilles mignonnes, fait reluire des colliers d’or sur la fraîcheur des épaules satinées, et poursuit tellement le brillant et l’agréable que sa fresque de l’entrée, la Consécration de l’église, est une somptueuse et tumultueuse parade d’opéra.

L’autel, dit-on, est de Michel-Ange ; deux enfans géans le soutiennent. Une pesante crosse d’or est de Cellini. L’orgue a les jeux les plus compliqués et les plus brillans ; deux moines sont Allemands, et étudient dans les archives les trésors enfouis de l’ancienne musique, On a tout ici, les arts, la science, les grands spectacles de la nature. Voilà ce que le vieux monde féodal et religieux avait fait pour les âmes pensives et solitaires, pour les esprits qui, rebutés par l’âpreté de la vie, se réduisaient à la spéculation et à la culture, d’eux-mêmes. La race en subsiste encore, seulement ils n’ont plus d’asile, ils vivent à Paris, à Berlin, dans des mansardes ; j’en sais plusieurs qui sont morts, d’autres s’attristent et se raidissent ; d’autres s’usent et se dégoûtent. La science fera-t-elle un