Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il paraît qu’il en est ainsi partout en Italie. Celui-ci, qui est le meilleur de Rome, semblerait de troisième ordre à Paris. Il est vrai que presque tout y est bon et à bas prix ; le café, qui est excellent, coûte trois sous la tasse. Cela fait, je vais dans un musée, dans une galerie, presque toujours seul ; sans cela, impossible d’avoir des impressions à soi et surtout de les suivre ; la conversation et la discussion font sur les rêves et les images intérieures l’effet d’un coup de balai sur une volée de papillons. Tout en vaguant dans les rues, j’entre dans les églises, mon guide imprimé m’en dit l’architecte et le siècle ; cela les remet pour moi dans leur entourage historique et me fait raisonner involontairement sur les mœurs d’où elles sont nées. Rentré chez moi, je trouve sur ma table des livres du temps, surtout des mémoires et des poèmes ; je lis une heure ou deux, et j’achève de griffonner mes notes. À mon sens, Rome n’est qu’une grande boutique de bric-à-brac ; qu’y faire, à moins d’y suivre des études d’art, d’archéologie et d’histoire ? Je sais très bien pour mon compte que si je n’y travaillais pas, le désordre et la saleté du bric-à-brac, les toiles d’araignées, l’odeur de moisi, la vue de tant de choses précieuses, autrefois vivantes et complètes, maintenant dédorées, mutilées, dépareillées, me jetteraient dans les idées funèbres. Le soir venu, on appelle un fiacre et l’on fait des visites. On m’a muni de lettres d’introduction, je vois des personnes de toute opinion et de toutes conditions, et j’ai rencontré beaucoup de politesse et de bienveillance. Mon hôte me parle du temps présent, de religion, de politique ; j’essaie de ramasser quelques idées sur l’Italie d’aujourd’hui, elle est le complément de l’Italie d’hier, et comme une dernière pièce dans une série de médailles ; toutes ces médailles se commentent et s’expliquent les unes les autres ; je fais sur elles mon métier ordinaire ; après avoir touché à bien des choses, je trouve qu’il n’y en a qu’une de bonne ou du moins de supportable, qui est de faire son métier.

Rome, l’arrivée.

Cette Rome hier au soir toute noire, sans boutiques, avec quelques becs de gaz éloignés les uns des autres, quel spectacle mortuaire ! La place Barberini, où je loge, est un catafalque de pierre où brûlent quelques flambeaux oubliés ; les pauvres petites lumières semblent s’engloutir dans le lugubre suaire d’ombre, et la fontaine indistincte chuchote dans le silence avec un bruissement de spectre. On ne peut rendre cet aspect de Rome le soir ; le jour, « cela sent le mort »[1] ; mais la nuit, c’est toute l’horreur et la grandeur du sépulcre

  1. Mot d’un voyageur moderne.