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Musique vocale : ce sont d’affreux braillemens ; il semble que les intervalles étranges, inouis, aient été accumulés à plaisir. On démêle bien des modulations tristes et originales, mais l’harmonie est brutale, et il y a des coups de gosier de chantre ivre. Ou je n’ai plus d’oreille, ou les notes fausses abondent ; les voix hautes ne sont qu’un glapissement ; le gros chantre du milieu beugle ; on le voit dans sa cage qui sue et se travaille. Il y a eu après le sermon un beau chant d’un style élevé et sévère ; mais quelles désagréables voix, celles du haut aigres, celles du bas aboyantes !

La sortie est curieuse : on voit, au bout de la colonnade, chaque cardinal monter en carrosse ; trois laquais sont empilés derrière ; le parapluie rouge posé sur la caisse indique aux Suisses qu’ils doivent présenter les armes. La procession des personnages lointains sous les arcades, les Suisses bariolés, les femmes en noir et voilées, les groupes qui se font et se défont sur les escaliers, les fontaines jaillissantes qu’on aperçoit entre les colonnes, forment un tableau, chose inconnue à Paris ; la scène a une ordonnance, un cadre, un effet. On reconnaît les vieilles gravures.

À force d’errer dans les rues, à pied ou en voiture, on finit par trouver ceci qui surnage au milieu de tant d’impressions : Rome est sale et triste, mais non commune. La grandeur et la beauté y sont rares comme partout ; mais presque tous les objets sont dignes d’être peints et vous tirent de la petite vie régulière et bourgeoise. D’abord elle est sur des collines, ce qui donne aux rues une diversité, un caractère. Selon la pente, le ciel est coupé diversement par les files des maisons. Ensuite quantité de choses indiquent la force, même aux dépens du goût ; églises, couvens, obélisques, colonnades, fontaines, statues, tout cela révèle soit un grand parti-pris dans la vie, soit la grandeur des richesses accumulées par la conquête matérielle ou spirituelle. Un moine est un animal étrange, d’une race perdue. Une statue ne correspond pas aux besoins d’un bourgeois. Une église, même jésuitique, si emphatique qu’en soit la décoration, témoigne d’une corporation redoutable. Ceux qui ont fait le moine, la statue ou l’église, ont marqué visiblement sur la trame vulgaire de l’histoire, soit par le renoncement, soit par la puissance. Un couvent comme la Trinità-del-Monte, avec son air de forteresse fermée, une fontaine comme celle de Trevi, un palais massif, monumental, comme ceux du Corso et de la place de Venise, annoncent des vies et des goûts qui ne sont pas ordinaires.

D’autre parties contrastes abondent ; au sortir d’une rue bruyante et vivante, vous longez pendant un quart de lieue un mur énorme, suintant, incrusté de mousses ; pas un passant, pas une charrette ; de loin en loin une porte à boulons de fer s’arrondit sous une arcade basse : c’est la sortie secrète d’un grand jardin. — Vous tournez à