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vulgaire que la tache rouge coulante et la belle ligne de la jambe, surtout en pareil moment ? Il manque aux anciens d’être commentés par des artistes ; jusqu’à présent, ils ne l’ont été que par des érudits de cabinet. Ceux qui connaissent leurs vases n’en voient que le dessin, la belle composition régulière, le mérite classique ; il reste à retrouver le coloris, l’émotion, la vie ; tout cela surabondait : il n’y a qu’à voir la pétulance, les bouffonneries, l’incroyable imagination d’Aristophane, sa profusion d’inventions imprévues et saugrenues, sa fantaisie, sa polissonnerie, l’incomparable fraîcheur, les sublimités soudaines de la poésie qu’il jette au milieu de ses grotesques ; on mettrait ensemble tout l’esprit et toute la verve des ateliers de Paris depuis vingt ans qu’on n’en approcherait pas. La tête humaine était alors bâtie et meublée d’une façon particulière ; les sensations y entraient avec un autre choc, les images avec un autre relief, les idées avec une autre suite. Par certains traits, ils ressemblaient aux Napolitains d’aujourd’hui, par quelques-uns aux Français sociables du XVIIe siècle, par d’autres aux jeunes lettrés des républiques du XVIe siècle, par d’autres enfin aux Anglais armés qui s’établissent en ce moment dans la Nouvelle-Zélande ; mais il faudrait une vie d’homme et le génie d’un Goethe pour reconstruire de pareilles âmes. J’entrevois, je ne vois pas.

Il y a ici, outre les collections particulières, deux grands musées de sculptures antiques, celui du Capitole et celui du Vatican. Ils sont fort bien disposés, surtout le second ; les statues les plus précieuses sont dans des cabinets distincts, peints en rouge sombre, en sorte que les yeux ne sont point distraits, et que la statue a tout son jour : L’ornementation est grave et d’une sobriété antique ; les traditions se sont conservées ou renouvelées ici mieux qu’ailleurs ; les papes et leurs architectes ont eu de la grandeur dans le goût, même au XVIIe et au XVIIIe siècle.

Pour les deux édifices, je te renvoie encore à tes estampes ; les vieilles sont les meilleures, d’abord parce qu’elles partent d’un sentiment plus vrai, ensuite parce qu’elles sont tristes, ou du moins sévères. Dès qu’un dessin est propre, soigné, surtout dès qu’il se rapproche des élégantes illustrations contemporaines, il représente Rome à contre-sens. Il faut compter qu’un monument, même moderne, est négligé et sale, l’hiver l’a gercé ; la pluie l’a encroûté de taches blafardes ; les dalles de la cour ne joignent plus, plusieurs sont enfoncées ou rayées de cassures ; les statues antiques qui le bordent ont la moitié du pied amputé et des cicatrices sur le corps ; les pauvres dieux de marbre ont été grattés par le couteau d’un gamin, ou se sentent de leur long séjour dans la terre humide. Surtout l’imagination prévenue a amplifié ; il faut deux ou trois visites pour la ramener jusqu’à l’impression juste. Qui ne s’est pas émerveillé