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Ce qui frappe le plus, ce sont des rois barbares de marbre noirâtre, énergiques et tristes dans leur grande draperie. Ce sont les captifs de Rome, les vaincus du Nord, tels qu’ils paraissaient derrière le char de triomphe pour finir par la hache au sortir du Capitole.

On ne fait point un pas sans apercevoir un trait nouveau de la vie antique. En face, dans la cour du musée, s’étale une large statue de fleuve au-dessus d’une fontaine, un puissant torse païen qui sommeille à demi nu sous sa chevelure épaisse, dans sa grande barbe de dieu viril, et qui jouit de la vie naturelle. Au-dessus, le restaurateur du musée, Clément XII, a placé son charmant petit buste, une fine tête creusée, méditative, de politique et de lettré de cabinet. C’est la seconde Rome à côté de la première.

Comment décrire une galerie ? Il faut tomber dans l’énumération. Laisse-moi seulement nommer quelques statues, comme points de repère, pour donner un corps et un soutien aux idées qu’elles suggèrent : par exemple, le Gladiateur mourant, et autour de lui un admirable Antinoüs, une grande Junon drapée, le Faune de Praxitèle, une Amazone qui lève son arc. On voit tout de suite que les Grecs se représentaient naturellement l’homme comme nu, et naturellement nous nous représentons l’homme comme habillé. Ils trouvaient dans leur expérience personnelle et propre l’idée d’un torse, d’une ample poitrine étalée comme celle d’Antinoüs, de l’enflure des muscles costaux dans un flanc qui se penche, de la continuité aisée de la hanche et de la cuisse dans un jeune corps, comme ce Faune incliné. Bref, ils avaient deux cents idées sur chaque forme et mouvement du nu ; nous n’en avons que sur la coupe d’une redingote et sur l’expression d’un visage. Il faut à l’art l’expérience courante, l’observation journalière ; de là sort le goût public, j’entends la préférence décidée pour telle sorte de type. Ce type dégagé et compris, il se trouve toujours quelques hommes supérieurs qui l’expriment. C’est pourquoi, les objets ordinaires étant changes, l’art change. L’esprit est comme ces insectes qui prennent la couleur de la plante sur laquelle ils vivent. Rien de plus vrai que ce mot : l’art est le résumé de la vie.

On en trouve la preuve dans un autre Faune de marbre rouge qui tient dans chaque main une grappe de raisin, et la montre avec un air de bonne humeur charmante et point vulgaire. La joie physique n’est point avilie dans l’antiquité, ni reléguée, comme chez nous, parmi les ouvriers, les bourgeois et les ivrognes. Chez Aristophane, Bacchus est en goguette ; poltron, paillard, glouton, comme un buveur de Rubens, il est pourtant dieu, et quelle folie d’imagination rieuse ! Par suite, le moindre changement de l’animal musculeux excite l’attention : par exemple, dans cet Hercule de