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de l’orgueil blessé. Il n’a point subi la pauvreté, ni l’humiliation, ni l’indifférence. À vingt-cinq ans, sans effort, il s’est trouvé le premier parmi les peintres de son temps ; son oncle Bramante lui a épargné les sollicitations et l’intrigue. À la vue de sa première fresque, le pape fit effacer les autres et voulut que toute la décoration de ses chambres fût de sa main. On ne lui opposait qu’un rival, Michel-Ange, et, bien loin de lui porter envie, Raphaël s’inclinait devant lui avec autant d’admiration que de respect. Ses lettres indiquent la modestie et le calme de l’âme. Il était extrêmement aimable et fut extrêmement aimé ; les plus grands le protégeaient et l’accueillaient ; ses élèves lui faisaient un cortège d’admirateurs et de camarades. Il n’a eu à lutter ni contre les hommes, ni contre son propre cœur, Il ne semble pas que l’amour ait troublé sa vie, il s’y est complu sans déchirement et sans angoisses. Il n’a pas été obligé comme tant de peintres d’enfanter douloureusement ses conceptions ; il les a produites comme un bel arbre produit ses fruits. La sève était abondante, et la culture avait été parfaite ; l’esprit enfantait naturellement, et la main exécutait sans peine. Enfin les images qui l’occupaient semblaient exprès choisies pour entretenir la sérénité dans son âme. Il avait passé sa première jeunesse parmi les madones du Pérugin, pieuses et paisibles jeunes filles, d’une quiétude virginale, d’une douceur enfantine, mais saines, et que la fièvre mystique du moyen âge n’avait point touchées. Il avait ensuite contemplé les nobles corps antiques et compris la fière nudité, le bonheur simple de ce monde détruit dont on venait de déterrer les fragmens. Entre les deux modèles, il avait trouvé sa forme idéale, et il errait dans un monde tout florissant de force, de joie et de jeunesse comme la cité antique, mais où la pureté, la candeur, la bonté d’une inspiration nouvelle répandaient un charme inconnu, sorte de jardin dont les plantes avaient la vigueur et la sève païenne, mais où les fleurs demi-chrétiennes s’ouvraient avec un sourire plus timide et plus doux.

À présent je puis aller regarder ses œuvres, en premier lieu la Madone de Foligno au Vatican. Ce qui frappe d’abord, c’est la douceur et la pudeur de la Vierge, c’est le geste timide avec lequel elle touche la ceinture bleue de son enfant, c’est l’effet charmant de la bordure dorée de sa robe rouge. Dans toutes ses premières œuvres et dans presque toutes ses madones, il a gardé le souvenir de ce qu’il a senti à Pérouse, auprès d’Assise, au centre des traditions de la piété heureuse et du pur amour. Les jeunes filles qu’il peint sont des communiantes, leur âme n’est pas épanouie ; la religion, en les couvant, a retardé leur éclosion ; avec un corps de femme, elles ont une pensée d’enfant. Pour trouver aujourd’hui des expressions pareilles, il faut voir le visage immobile, innocent, des religieuses