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Je suis allé à Santa-Maria-della-Pace : vilaine façade ronde qui fait ventre ; mais on entre par un joli petit cloître du Bramante, où deux étages d’arcades élégantes se développent en promenoirs. L’église est trop parée, comme toutes les églises de Rome ; sur la gauche, un cardinal du XVIe siècle est couché sur sa tombe, la tête appuyée sur la main, maigre, avec toute la grandeur tragique de la mort : tombeaux et dorures, les deux extrêmes qui peuvent le mieux ébranler l’imagination, ce sont là ici les traits dominans du culte. Le contraste est frappant lorsqu’à la dernière chapelle de gauche, au-dessus d’un arc, on aperçoit les quatre Sibylles de Raphaël. Elles sont debout, penchées ou assises, pour s’accommoder à la courbure de la voûte, et de petits anges, leur présentant le parchemin pour écrire, achèvent de former le groupe. Silencieuses, pacifiques, ce sont bien là des créatures surhumaines, situées, comme les déesses antiques, au-dessus de l’action ; un geste calme leur suffit pour apparaître tout entières ; leur être n’est pas dispersé ni transitoire, elles subsistent immuables dans un présent éternel. Il ne faut point chercher ici l’illusion, le relief ; une pareille apparition est un rêve, et c’est les yeux fermés, dans les grands momens d’émotion muette, qu’on peut les retrouver. Un homme comme celui-ci a mis toute la noblesse de son cœur, toutes ses conceptions solitaires de bonheur charmant et sublime dans ces formes et dans ces attitudes, dans l’enlacement fraternel des beaux bras paisiblement étendus qui, se cherchant, font une guirlande. Si un jour, effaçant de notre esprit tous les souvenirs tristes et laids de la vie, nous pouvions entrevoir un tel groupe d’adolescens, d’enfans et de femmes, nous serions heureux, nous ne concevrions rien au-delà. Une surtout, debout, penchée en arrière, et qui lentement retourne la tête, a le regard fier et sauvage, l’étrange grandeur demi-animale et demi-divine des êtres primitifs. Derrière elle, une vieille, ridée, encapuchonnée, est transfigurée jusqu’à paraître belle, comme les vieillards des Champs-Elysées dans Virgile. De l’autre côté, une douce jeune femme, dans la fleur de l’âge, s’assied, et le contour arrondi de son visage exprime la plus parfaite bonté tranquille.

Me voici enfin revenu au Vatican, et toutes mes impressions changent : je me suis mis au point de vue ; ce qui paraissait froideur ou recherche est justement ce qui fait plaisir. Il y a un germe dont le reste n’est que le développement, c’est le beau corps bien portant, solidement et simplement peint dans une attitude qui manifeste la force et la perfection de sa structure ; c’est cela seul qu’il faut chercher ; les autres parties de l’art sont subordonnées. Le tableau est comme une phrase musicale bien rhythmée où chaque son est pur, et que la passion dramatique n’altère jamais au point d’y introduire une dissonance ou un vrai cri. À ce titre, tel geste