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à lui-même, sur les améliorations à introduire dans les finances et dans la justice : il disait que je devais l’aider, que je devais être la bienfaisance du trône et le faire aimer, qu’il voulait être aimé ; mais il n’a pas énuméré ses moyens d’action, soit qu’il ne les ait pas encore combinés, soit qu’il les garde pour ses ministres ; il leur écrit beaucoup. C’est au vrai un homme qui est tout en lui, qui a l’air d’être fort inquiet de la tâche qui lui est tombée tout à coup sur la tête, qui veut gouverner en père. Comme je ne veux pas le blesser, je ne le questionne pas trop. Il fait tout aussi bien de ne pas me consulter ; je suis plus embarrassée que lui, et je suis déterminée à suivre le conseil de notre bonne mère, c’est-à-dire d’aller tout droit devant mon chemin et de profiter de toutes les occasions de faire bien… »

Ce que Marie-Antoinette représente comme une bonne volonté agitée cherchant à prendre son essor, c’était malheureusement l’indécision incurable d’une nature honnêtement impuissante, défiante d’elle-même et des autres, partagée entre tous les instincts. Par droiture de conscience, Louis XVI sentait la nécessité de toutes les réformes d’équité sociale, de liberté civile, de tolérance religieuse, qui étaient dans tous les esprits ; par sa naissance, par son éducation, il avait le culte superstitieux des traditions de la monarchie absolue, dont il recevait le lourd héritage. Par choix, par affinité, il aimait Turgot, cet autre homme d’intégrité, qui n’avait que le défaut d’être peu souple dans ses manières et, selon un mot piquant, de « faire fort mal le bien, » après l’abbé Terray, qui « faisait fort bien le mal ; » par faiblesse il laissait tomber le contrôleur-général devant l’opposition des parlemens à peine reconstitués. Par goût, par tempérament, il était simple, économe, il avait du bourgeois ; par habitude, par soumission aux règles établies et à ce qu’il considérait comme une condition de la royauté, il restait enchaîné aux influences et aux intrigues de cour qui s’agitaient autour de lui, dont il était le jouet assez gauche avant d’en être la victime. De là le double courant de ce règne où tout se mêle et se contredit, où l’honnêteté elle-même est un piège de plus dès qu’elle manque d’une virile initiative, de ce règne qui aurait pu se personnifier en Turgot, et qui en définitive se personnifie en Maurepas, l’ancien ministre de Louis XV, le petit-maître évaporé et futile de soixante-quinze ans, l’homme qui eut le plus l’art de traiter sérieusement les bagatelles et avec légèreté les choses les plus sérieuses. Ainsi une fortune ironique mettait auprès de l’honnête Louis XVI un vieillard frivole, quintessence sénile de l’esprit du XVIIIe siècle, dont l’unique pensée était de rester le maître de la cour, l’arbitre des intrigues, et de prolonger sa faveur auprès du roi, fût-ce aux dépens