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de la reine, de se servir de Louis XVI contre Marie-Antoinette, comme autrefois, sous Louis XV, il s’était servi de la famille royale contre le roi, de résoudre enfin à son profit cet antagonisme du règne où Turgot était le vaincu, et où lui, Maurepas, demeurait premier ministre jusqu’à sa mort.

Physionomie singulière que celle de cette époque, qui apparaît d’un côté sous la figure de Turgot, de Necker, de l’autre sous la figure de Maurepas, — où à travers tout la nation mûrit, les esprits s’animent, les problèmes s’aggravent de jour en jour, et où, en présence de ce mouvement grandissant, une cour pulvérisée en coteries tourbillonne, s’amuse, joue avec le feu, et prépare la catastrophe en la justifiant. Quand Marie-Antoinette prenait sa place sur le trône à côté de Louis XVI, elle avait bien sans doute le vague instinct des difficultés redoutables du règne nouveau ; elle n’avait pas l’idée, comme elle le dit naïvement, de ce qu’il y avait à faire, et elle entrevoyait encore moins la mesure des dangers qui se préparaient pour elle et pour cette royauté dont elle était la grâce vivante, dont le roi était le bon sens timoré et un peu borné. Découragée peut-être de l’ambition politique par l’échec de ses premières tentatives d’influence dans le choix des ministres, en tête desquels elle aurait voulu voir naturellement M. de Choiseul au lieu de M. de Maurepas, un peu dépaysée dans tout ce tracas des affaires d’état qui étaient pour elle un écheveau brouillé, et pour lesquelles elle se sentait peu de goût, facilement dominée par la vivacité de ses impressions, elle prenait le parti de n’être que la reine, une vraie reine par la fascination d’une majesté souriante.

C’était le moment où sa jeunesse achevait de se former, où elle arrivait à cette séduction et à cette beauté qui n’étaient pas tant dans la perfection des traits que dans l’agrément de l’ensemble, dans l’alliance de la grâce et de la dignité, dans l’abandon d’une démarche noble et légère, dans la bonté qui rayonnait sur son visage, dans toutes ces choses enfin qui ont un nom unique, le charme. « Son esprit, dit un des hommes qui l’ont le mieux peinte, Senac de Meilhan, n’avait rien de brillant, et elle n’annonçait à cet égard aucune prétention ; mais il y avait en elle quelque chose qui tenait de l’inspiration, qui lui faisait trouver au moment ce qu’il y avait de plus convenable aux circonstances… C’était plutôt de l’âme que de l’esprit que partaient alors ses discours et ses réponses. » Ainsi douée et n’ayant rien à faire, ne touchant à la politique que par des nécessités de défense personnelle et par instans, Marie-Antoinette se laissait aller au plaisir d’une royauté où la femme brillait autant que la souveraine. À côté des pompes de Versailles et de Marly, elle organisait des fêtes, des bals, des réunions,