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ne tardèrent pas à éclater avec des passifs formidables de plusieurs millions sterling. Les pertes retombant de l’un sur l’autre, une foule de négocians succombèrent : chaque jour, on apprenait une suspension nouvelle. Une terreur panique avait frappé les esprits ; on se rappelait la terrible année 1825, et chacun se croyait à la veille de sa ruine. L’alarme fut au comble lorsqu’on annonça que les deux principales banques de Liverpool avaient suspendu leurs paiemens (18 et 26 octobre). Pendant les cinq jours suivans, plusieurs grands établissemens de crédit faillirent aussi à Manchester, à Newcastle et dans tout l’ouest. Les consolidés tombèrent à 79. La Banque éleva l’escompte à 8 pour 400, et à ce taux même elle refusait beaucoup d’excellent papier. Sur le marché libre, l’escompte monta à 12 et 13 pour 100. Toutes les actions de chemins de fer, si recherchées peu de temps auparavant, étaient invendables, même les meilleures. Le contre-coup de cette convulsion financière frappa cruellement la classe ouvrière : déjà depuis un an le manque et le haut prix du coton avaient beaucoup réduit la demande de travail. En ce moment critique, beaucoup d’usinés se fermèrent, et les entrepreneurs de chemins de fer, faute d’argent, renvoyèrent un grand nombre de leurs ouvriers. Plus de cent mille travailleurs furent soutenus par l’aumône officielle en vertu de la loi des pauvres. Le désespoir était dans tous les cœurs.

Au plus fort de la crise, en octobre, une députation du commerce demanda avec la plus vive instance au ministère la suspension de l’act de 1844, qui forçait la Banque de restreindre ses émissions dans la mesure où son encaisse diminuait, et qui enlevait ainsi à la circulation une partie de l’agent des échanges au moment où on en avait le plus pressant besoin. Le ministère céda : Robert Peel lui-même n’osa point conseiller la résistance. La Banque fut autorisée à dépasser le maximum légal de son émission ; mais soit que l’autorisation seule eût suffi pour dissiper un peu l’effroi général, soit que la crise fût naturellement arrivée à son terme, ou que le taux de 8 pour 100 de l’escompte eût produit son effet, l’or commença de refluer vers les caisses de la Banque, et peu à peu la confiance revint. Quand on lit le relevé des désastres causés par l’ouragan économique, on trouva que plus de 400 maisons avaient succombé avec un passif d’environ 600 millions de francs[1].

En France, des causes semblables avaient produit des effets identiques : en 1843 et 1844, surabondance de capitaux, hausse des valeurs,

  1. Le journal satirique de Londres, le Punch, symbolisa parfaitement dans une de ses caricatures la cause du mal. Une dame s’informe dans un magasin du prix d’une étoffe. Le commis répond : « une cuiller et demie d’argent. — Donnez-moi donc mon panier d’argenterie, » dit la dame à son domestique. Par la disparition de l’agent ordinaire de la circulation, le numéraire, on était réduit au troc comme les tribus de sauvages.