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C’est pour donner un caractère plus intime et plus durable à cette combinaison que Marie-Antoinette avait été mariée avec le dauphin. Et cependant, chose étrange, cette reine, qui représentait en France un système imaginé pour préparer une satisfaction à l’orgueil national, cette reine venait se heurter contre un parti prétendu français, entêté de vieux préjugés, qui ne voyait dans la politique de M. de Choiseul que l’abandon de la pensée de Richelieu et de Louis XIV, des traditions séculaires d’inimitié vis-à-vis de l’Autriche. Ce parti était puissant à la cour, puissant dans la famille royale elle-même. Marie-Antoinette avait senti ses piqûres lorsqu’elle n’était que dauphine ; elle sentit bien plus encore sa puissance au commencement du règne, le jour où elle essaya inutilement de ramener M. de Choiseul à la tête des affaires. Elle ne put réussir qu’à faire cesser l’exil de son cher duc, à obtenir pour lui une audience de Louis XVI, qui, tout embarrassé, se contentait de lui dire : « Monsieur de Choiseul, vous êtes bien engraissé,… vous avez perdu vos cheveux, vous devenez chauve… » C’est tout ce que le brillant disgracié de Louis XV obtint de son successeur. M. de Choiseul d’ailleurs n’avait pas seulement pour ennemis ceux qu’avait effrayés la nouveauté de ses combinaisons de politique extérieure. Les dévots le haïssaient pour ses liaisons philosophiques, pour l’expulsion des jésuites ; les amis du premier dauphin père de Louis XVI ne lui pardonnaient pas l’impertinente hauteur avec laquelle il avait dit un jour à ce prince qu’il pourrait avoir le malheur d’être son sujet, mais qu’il ne serait jamais son serviteur ; les timides redoutaient ses fantaisies belliqueuses ; les partisans de l’économie dans les finances ne parlaient que de ses prodigalités fastueuses ; ceux qui avaient les places et les faveurs craignaient de le voir rentrer au ministère ; les habiles comme Maurepas exploitaient tous ces griefs. Pour tout ce monde fourmillant et menacé, M. de Choiseul était l’ennemi, et la reine aussi était l’ennemie, l’alliée dangereuse des Choiseul, celle qui pouvait les faire revenir, et dont il fallait à tout prix ruiner l’influence. De là cet antagonisme sourd ou éclatant d’où jaillit comme une injure, comme le dernier mot des inimitiés, ce nom d’étrangère, d’Autrichienne, que l’imagination révolutionnaire n’a pas inventé, que la légèreté de ce monde de cour laissait dès ce temps tomber sur Marie-Antoinette. C’était la politique ici ou l’apparence de la politique qui faisait la fatalité de la reine.

Un autre trait, un autre malheur de Marie-Antoinette, et ce malheur tient à tout son être, c’est qu’elle est vraie dans un monde de mœurs et de caractères faux, prompte à secouer les conventions dans une société livrée aux tyrannies puériles de l’étiquette, spontanée et naturelle dans un temps où règnent les affectations de toute